source : Sylviane AGACINSKI, tribune du Monde du 26 juin 2007
En bref: L'Institut d'Etudes Politiques (IEP) de Paris a décidé d'enseigner la théorie du Gender à ses élèves. Un choix loin d'être anodin pour la formation de cette jeune élite. Les "gender studies": de l'identité biologique à l'identité sociologique ou comment déconstruire les structures fondamentales de la société. Jusqu’à ce jour, la France avait été épargnée par l’enseignement de la théorie du Gender.
Nous avions tout au plus un module à la Sorbonne et quelques conférences à Paris ou en province. C’en est fini. L’enseignement de cette « discipline » entre par la grande porte: à partir de 2011, des cours obligatoires lui seront consacrée à Sciences Po, l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. (IEP Paris)
À l’origine du projet, deux femmes économistes de l’OFCE, soutenues par Jean-Paul Fitoussi, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et par Emmanuelle Latour de l’Observatoire de la parité créé en 1995. Celles-ci déclarent qu’il faut en finir avec l’inégalité entre les hommes et les femmes dans l’entreprise. Pour les promoteurs de l’opération, le but est éminemment politique : « On veut faire progresser le combat contre les inégalités entre hommes et femmes. » Personne ne peut s’opposer à l’égalité homme-femme. Encore faudrait-il savoir sur quoi se fonde cette égalité.
1- Une réflexion identitaire: Queer et gender
En regardant d’un peu plus près, on comprend mieux l’intention. En particulier, grâce à l’évènement initiatique baptisé Queerweek (La semaine queer) de Sciences Po, lancée du 3 au 6 mai 2010 comme une avant-première des Gender studies. Bien que les créatrices s’en défendent, il s’agit bien d’une étude centrée sur une réflexion identitaire. Le programme de cette Semaine queer — « semaine du genre et des sexualités » — est explicite. L’idée promue est la suivante : l’individu postmoderne ne se reconnaîtrait plus dans la société « hétérosexiste » : la différence des sexes est une dictature puisqu’elle est imposée par la nature. Pour être libre, l’individu devrait pouvoir se choisir. Cela lui permettrait d’exercer son droit le plus fondamental : « le droit à être moi », de se choisir en permanence alors que la nature impose d’être un homme ou une femme.
Les théoriciennes du queer pensent que l’individu serait mieux caractérisé par son orientation sexuelle que par son identité sexuelle, fondée sur une donnée biologique donc non choisie.
Elles estiment que se considérer comme homme ou femme en se fondant sur une réalité biologique, c’est refuser de se construire soi-même. Il serait tentant de chercher une définition du queer. Si, précisément, il n’y en a pas, c’est en raison du caractère subversif de cette théorie, comme l’affirment ses promoteurs. Donner une définition, c’est fixer une idée ou un objectif. Dans ce concept, rien n’est fixé. On peut dire qu’il s’agit d’un mouvement subversif dont l’objectif est de reformuler les rapports homme/femme dans la société, non plus en fonction de leur identité masculine ou féminine, mais en fonction de leur volonté et de leurs désirs souverains. L’identité ne serait plus biologique, mais sociale. D’une certaine manière, la théorie Queer prolonge la théorie du Gender, ce concept apparu au Sommet de Pékin en 1995, sous l’effet de groupes de pression de féministes radicales. D’ailleurs, pendant que l’IEP lançait cette initiative, Judith Butler en personne intervenait à Lyon à l’invitation du maire pour présenter la théorie dont elle est l’une des figures marquantes [1]. Publié aux États-Unis dans les années soixante-dix, c’est seulement en 2005 que son livre de référence est traduit en français : Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion (Ed La Découverte). Pour elle, si le gender consiste à définir une politique féministe qui ne soit pas fondée sur l’identité féminine, le queer déconstruit l’identité de toute personne humaine en vue de se reconstruire à partir du seul choix individuel.
2- Le féminisme subversif: du féminisme radical à la théorie du gender
Judith Butler s’appuie sur les idéologies du XIXe et XXe siècle néo-marxiste, existentialiste et structuraliste pour penser « le féminisme et la subversion de l’identité ». Le féminisme initial adhère à l’idée que l’identité sexuelle et le genre coïncident, mais ce lien sera progressivement remis en cause par les gender feminists qui considèrent que la frontière entre le masculin et le féminin est parfois floue mais que la société profite de ces différences pour imposer un rôle ou stéréotype : la femme aux tâches ménagères, l’homme à l’extérieur. Elles prétendent que la revendication de l’égalité homme/femme suppose une différence entre les sexes. Or selon elles, la différence construit l’inégalité et donc la domination de l’homme sur la femme. Ce qui fait dire à Judith Butler que la définition classique du genre, fondée sur le sexe biologique, est une construction sociale et culturelle au service de la domination de l’homme sur la femme. Sa proposition : s’affranchir de la nature. Pour sortir de l’oppression, il est nécessaire de déconstruire le genre, la famille et la reproduction !
Le genre
Les « gender-feminists » considèrent que la différence sexuelle de l’homme et de la femme n’est pas déterminante, sauf à maintenir la domination de l’homme. Or, le mot « sexe » fait référence aux caractéristiques biologiques, manifestant ainsi une différence innée entre l’homme et la femme. Il faut donc, pour elles, le remplacer par le terme de « genre » qui renvoie aux comportements et aux rôles plutôt qu’au sexe, annihilant par ce moyen l’existence de différences, à l’origine des inégalités. À partir de cette rupture sémantique, une théorie va être élaborée. Nos théoriciennes prétendent que l’être humain, à la naissance, est « neutre ». Ce serait le milieu culturel qui imposerait un rôle féminin ou masculin pour maintenir la femme dans un rôle d’esclave. D’où l’idée de remplacer l’identité sexuelle par les orientations sexuelles variées et choisies par chaque individu. Chacun s’invente son genre qui peut évoluer au cours de la vie. Ainsi il n’y a plus de barrière entre ce qui est permis et ce qui est interdit. Ce que je choisis est permis, puisque je l’ai choisi.
La famille
En second lieu, il faut déconstruire la famille, parce que la femme y est maintenue en esclavage et qu’elle conditionne les enfants à accepter le mariage et la féminité comme naturels. La nouvelle famille doit être polymorphe (recomposée, monoparentale, homoparentale,...), bref : choisie.
La maternité
Enfin, après la famille et le genre, la reproduction doit également être déconstruite pour être choisie : l’enfant ne se reçoit pas, il se désire, il se programme, il se contractualise. Pour sortir des contraintes, la femme doit recourir à la technique : « Les mères porteuses, l’utérus artificiel ont pour objectif la libération des femmes des contraintes corporelles. C’est le fantasme de la désincarnation, se détacher de sa part naturelle [2]. » Ainsi, la théorie du gender déconstruit l’identité féminine. Plus de différence sexuelle, plus d’inégalité : « Les femmes ne seraient pas opprimées s’il n’existait pas un concept de femme. En finir avec le genre, c’est en finir avec le patriarcat [3]. » La déconstruction du genre consiste donc à minimiser l’identité sexuelle biologique (masculine ou féminine) pour ne garder que l’identité sexuelle sociologique, c'est-à-dire l’orientation sexuelle.
3- Applications des gender studies : Nouveaux couples, nouvelles familles
nouvelles normes fondées sur une sexualité choisie… la théorie du gender permet de mieux comprendre les revendications du lobby gay car elle vient appuyer la reconnaissance normative de l’homosexualité pour imposer de nouveaux modèles de couple et de filiation.
A) Le « droit au mariage »
Le droit devrait reconnaître toute forme d’union : homo-, hétéro-, bi-, pluri-,… Il serait ouvert un seul type de contrat fondé sur le « droit au mariage » destiné à tous les individus, quelles que soient les circonstances. Or, rappelons : d’une part, que le choix individuel d’une forme de vie relève de la vie privée et d’autre part, que l’universalité de la loi a pour but de garantir le bien commun. L’État ne peut reconnaître qu’une union qui assure la stabilité et la durée du point de vue social et personnel. Le socle de la société repose sur l’universalité de la différence sexuelle de l’homme et de la femme et non sur des tendances ou des orientations. Enfin le mariage n’est pas un droit, mais un engagement entre deux personnes et une institution vis-à-vis de la société. Il est d’ailleurs paradoxal de revendiquer le mariage sauf à vouloir l’utiliser comme norme universelle pour toute sorte d’union.
B) La parenté et la parentalité : le « droit à l’enfant »
Le désir d’enfants, considéré comme un droit par certains, conduit à remplacer la parenté par la parentalité. Or, la parenté unit les trois composantes de la filiation : biologique, juridique et sociale alors que la parentalité ne garde que la composante sociale, la fonction d’éduquer. En remplaçant progressivement le terme de parenté par parentalité, on déconnecte les réalités biologiques des comportements en société, telle que l’encouragent lesgender feminists. Les homosexuels voient, à travers cette dialectique, un moyen de se voir reconnaître un « statut social » sur l’enfant concrétisant ainsi le «droit à l’enfant ». Ainsi le déclare l’APGL-Association des parents gays et lesbiens : « Nous souhaitons baser le droit de la filiation sur l’éthique de la responsabilité, en valorisant l’établissement volontaire de la filiation et en fondant celle-ci sur un engagement irrévocable.» « Un parent n’est pas nécessairement celui qui donne la vie, il est celui qui s’engage par un acte volontaire et irrévocable à être le parent. »
C) Adoption, AMP et mères porteuses : « l’enfant-objet »
La reconnaissance sociale est insuffisante pour ces lobbys : si les couples de même sexe sont capables d’éduquer des enfants, pourquoi ne pourraient-ils être parent biologique (gestation pour autrui, insémination artificielle, fécondation in vitro) alors que les techniques médicales le permettent. D’où leur demande de recourir à l’AMP (Assistance médicale à la procréation), avec donneur, actuellement réservée aux couples de sexe différent. Et qu’importe le nom du donneur d’ovule ou de spermatozoïde puisque, si l’on suit la théorie du genre, la réalité biologique n’est que secondaire. La demande de légalisation de la GPA (gestation pour autrui) ou mères porteuses soutenu par Élisabeth Badinter, membre du Conseil scientifique du Gender studies de Sciences-Po suit le même raisonnement. à Tous les moyens sont bons pour garantir le « droit à l’enfant » au mépris de l’enfant lui-même, de son identité et de sa croissance dans un cadre stable avec son père et sa mère.
La théorie du genre réduit l’individu à l’orientation sexuelle qu’il décide pour lui-même.
La philosophe Sylviane Agacinski[1] nous éclaire : « On ne semble pas remarquer que la revendication du « mariage homosexuel » ou de l’ « homoparentalité » n’a pu se formuler qu’à partir de la construction ou de la fiction de sujets de droit qui n’ont jamais existé : les « hétérosexuels ». C’est en posant comme une donnée réelle cette classe illusoire de sujets que la question de l’égalité des droits entre « homosexuels » et « hétérosexuels » a pu se poser. Il s’agit cependant d’une fiction, car ce n’est pas la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage, ni la parenté, mais d’abord le sexe, c’est-à-dire la distinction anthropologique des hommes et des femmes. »
La diffusion de la théorie du gender ou du queer ne peut que renforcer la culture de dissociation de notre société : dissociation entre identité et comportement, entre sexualité et procréation, entre union et filiation, entre parenté et parentalité, créant autant de catégories que de cas d’espèces, dans le dessein de laisser chacun décider arbitrairement. Ainsi seront formés nos enfants si nous n’y prenons garde.
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