dimanche 29 janvier 2012

Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie I

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( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie I)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie II)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie III)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie IV)



Prologue :

    L'année 2012 sera en France marquée par des échéances politiques décisives : élections présidentielle puis législatives. Les choix faits en ces occasions sont toujours importants pour l'avenir du pays, mais la situation précaire de notre société développée rend les enjeux encore plus cruciaux. La campagne a commencé bien avant que toutes les candidatures soient officiellement déclarées.
La question est souvent posée de savoir si l'Église catholique interviendra dans le débat électoral et de quelle façon. La réponse n'est pas évidente. Même si depuis longtemps l'Église ne donne plus de consignes de vote, chacun peut comprendre que ses responsables proposent des éléments de réflexion aux membres de leur communauté. Mais qui ne voit que la question dépasse le simple cadre de cette communauté particu­lière ? L'Église a-t-elle quelque chose à dire sur les programmes qui seront présentés ? Doit-elle s'expri­mer ? Peut-elle le faire sans briser le pacte laïc qui caractérise notre société française ?


Éveiller les consciences

    Les questions auxquelles nous sommes invités à répondre s'inscrivent, en fait, dans le cadre plus large de la place et du rôle des communautés religieuses dans notre société laïque. Quand l'avenir de l'homme est en cause, nous pensons qu'il est de notre devoir de parler et d'éveiller les consciences. Nous ne cher­chons pas à contraindre quiconque à adopter nos croyances sur l'homme et sur sa vocation, mais nous sommes convaincus que la sagesse chrétienne dont nous sommes les héritiers et les porteurs peut apporter un éclairage utile à tous ceux qui veulent bien réfléchir sans a priori sectaire.

    Pour cela, nous ne faisons pas appel à une adhésion formelle à la foi chrétienne telle que nous la profes­sons ; nous nous adressons à la raison humaine qui prend en compte le jugement moral. C'est pourquoi nous récusons sereinement l'accusation d'immixtion illégitime qui nous est faite, parfois grossièrement. Nous avons une trop haute estime de la démocratie dont nous bénéficions pour imaginer que l'expression d'idées ou d'opinions particulières puisse être un dom­mage pour qui que ce soit.

    Il n'est d'ailleurs pas insignifiant que les mêmes per­sonnes qui s'offusquent bruyamment lorsque nous par­lons peuvent par ailleurs nous reprocher nos silences. Mais peut-être ceux-là souhaitent-ils que nous parlions ou que nous nous taisions uniquement pour soutenir et confirmer leurs options et leur apporter une caution morale, même passive ! En tout cas, la résolution avec la-quelle nous essayons de faire réfléchir nos contempo­rains ne saurait s'apparenter à un soutien formel pour l'un ou l'autre candidat des élections à venir.

    Le fonctionnement moderne du pouvoir politique -boutit souvent à une personnalisation extrême (voire excessive) des choix présentés aux électeurs et l'information qui nous est assenée au fil des mois se réduit trop souvent à une sorte de concours de beauté entre "vedettes" parmi lesquelles nous aurions à choisir un gagnant qui serait alors déclaré doué de toutes les ver­tus. Loin de moi l'idée d'imaginer que, dans l'exercice du pouvoir politique, le caractère de ceux qui l'exercent est sans importance. Mais le choix ne se réduit pas à élire une personne providentielle. Il porte d'abord sur les propositions que les candidats sont en mesure de faire sur les grandes orientations des cinq années qui viennent. Ces propositions expriment des convictions qui sont évidemment personnelles, mais qui s'inspirent aussi des solutions préconisées par une ou plusieurs familles politiques. Elles comportent des options éco­nomiques dont la crise actuelle augmente encore l'importance.
Elles comportent également des choix concernant l'organisation de la vie collective - ce que l'on appelle des « choix de société ».

Pas de solidarité sans perception du bien commun

    Le dernier demi-siècle a donné souvent l'impression que seuls les choix économiques étaient déterminants.
Or. avec le temps, il apparaît que des décisions légis­latives qui transforment l'organisation commune de l'existence peuvent avoir des effets plus déterminants que l'on ne pensait. L'une des conséquences de cette omnipotence de l'économie est de mesurer les déci­sions véritablement opératoires à la somme d'argent public qui y est investi, ou qu'il est promis d'y inves­tir... Mais nous constatons tous que des programmes ambitieux et décisifs pour lesquels beaucoup d'argent a été dépensé n'ont pas apporté les solutions que l'on en attendait, faute que l'investissement humain ait été à la hauteur des crédits débloqués. Sans doute nos attentes sont-elles trop tributaires d'une sorte de mar­chandisation de l'action, qui n'est plus mesurée que par les sommes engagées. À terme, c'est une finan-ciarisation de la vie sociale et collective qui se déve­loppe au moment où les crises financières réduisent les disponibilités et obligent à des restrictions drastiques.

    Peut-on mobiliser les énergies et les générosités si les efforts demandés ne s'inscrivent pas dans un projet d'ensemble qui permette une véritable lisibilité de la participation de tous à l'effort commun ? Cette per­ception du bien commun et d'une solidarité entre les membres d'une nation dépasse de beaucoup la mission régalienne de redistribution financière. Elle se nourrit d'une capacité commune à se reconnaître solidaires dans une nation, dans l'ensemble européen et même à l'échelle de la planète en ce temps de la mondiali­sation et du souci écologique. Cette prise de conscience commence dans le cadre de l'éducation familiale et dans l'orientation d'une éducation scolaire qui n'est pas seulement affaire d'enseignement au sens étroit du terme. Elle se poursuit tout au long de la vie par l'information qui donne le recul nécessaire à des choix réfléchis. À ce niveau, la responsabilité des médias est évidente. Mais celle des citoyens est non moins certaine, dans la mesure où ils restent libres et critiques face à l'offre surabondante d'information, où le spectaculaire immédiat est mis en avant, alors que le sensationnel n'est pas forcément important même s'il peut être excitant ou attirant.

    Faute de cette éducation à une solidarité éclairée, concrète et quotidienne, on voit se développer une chasse aux avantages catégoriels qui risque de déve­lopper les tendances communautaristes, bien davan­tage que les différences culturelles et religieuses. Il convient ici de ne pas mettre sur le même plan l'inquiétude profonde des nombreuses personnes que des restructurations privent de leur emploi, avec la défense de « droits acquis » devenus des privilèges ou avec l'ambition de banaliser certaines mœurs en leur conférant un statut légal. Mais nous savons malheu­reusement que, pour un candidat, s'affirmer face à une profession ou à un lobby influent rapporte moins que de promettre des modifications législatives appa­remment moins coûteuses financièrement, mais en fait désastreuse à moyen terme. Ainsi, par exemple, modi­fier le statut de la famille en cédant à une rhétorique idéologique du « progrès » bouleverserait gravement les fondements mêmes de la vie en société ! Les attentes et les requêtes de différents groupes sociaux entraînent inévitablement le discours électoral sur une pente démagogique. Elles sont alimentées par des pro­messes d'argent.public et des solutions indolores. C'est pourquoi la capacité du discours électoral à énoncer les efforts et les restrictions inévitables peut être un bon indicateur du sens de la responsabilité des candi­dats. Encore faut-il que l'objectif visé par ces efforts et ces restrictions soit perceptible et que leur réparti­tion soit prévue avec une réelle équité.

    Sur toutes ces questions auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés, l'Église ne prétend pas fournir les solutions techniques qui ne sont pas de sa compé­tence. En revanche, elle s'emploie à diffuser et parta­ger les fruits d'une réflexion séculaire sur la qualité humaine d'une société. Depuis un siècle et demi, cette réflexion a été plus directement orientée sur les ques­tions de la vie sociale, économique et politique. Elle a produit ce qu'on appelle globalement la « doctrine sociale de l'Église ». Cette doctrine est exprimée dans des textes régulièrement publiés et accessibles à tous. Ils ont été récemment rassemblés dans le Compendium de la doctrine sociale1. Il y a deux ans, le pape Benoît XVI a apporté une contribution remarquée à ce corps de doctrine par la publication de l'encyclique Caritas in Veritate.

    L'ensemble de ces documents, conçus et diffusés à l'échelon universel, donne des références pour l'action qui ne s'appliquent pas uniformément dans les différentes situations concrètes. Elles sont certes plus de l'ordre des grands critères pour l'action, par rapport auxquels peuvent être évalués et orientés les pro­grammes pour un pays particulier et pour une période précise. Mais à l'heure de la mondialisation et des interférences multiples, les repères universels ne sont pas tellement nombreux qu'on puisse les négliger. La mission des Églises particulières est non seulement de diffuser cet enseignement, mais encore de l'appliquer à chacune des différentes situations. C'est ce que s'efforce de faire la Conférence des évêques de France pour ce qui concerne son champ de responsabilité. Depuis bientôt quarante ans, elle investit ses efforts dans un travail continu réalisé par sa Commission Sociale, devenue le Service national Famille et Société. Ce travail persévérant a été marqué par des publications nombreuses dont il suffira de signaler quelques exemples en note.

    Plus habituellement, ce travail est actualisé en fonc­tion des circonstances et des besoins par l'un ou l'autre évêque. La période électorale que nous vivons nous paraît un de ces moments où il est utile de faire entendre notre point de vue sur des questions qui concernent le bien commun. La manière dont nous nous exprimons peut surprendre et décevoir. Nous n'entrons pas, sauf erreur, dans les méthodes de communication, dans le jeu médiatique des petites ou grandes phrases que l'on se renvoie l'un à l'autre comme si se démarquer de ses concurrents faisait naître magiquement un projet cohérent. Notre visée n'est pas de convaincre de voter pour tel ou tel pro­gramme ou tel ou tel candidat, mais de donner des éléments de décision au choix libre et informé des citoyens.

    Parmi ces éléments de décision, il en est deux qui méritent probablement quelques développements : y a-t-il un vote catholique ? Et : la morale personnelle doit-elle entrer en ligne de compte ?

Le vote catholique

    À la différence d'autres pays, depuis le xixe siècle, la France n'a jamais vraiment connu de parti catho­lique. Après la Seconde Guerre mondiale, on a vu se constituer un parti sur le modèle de la démocratie chrétienne en Europe : le M.R.P. Mais, même à ce moment-là, personne n'a jamais imaginé qu'il y eût, pour les catholiques, une obligation de conscience à voter pour ses candidats. Des citoyens sans lien formel avec l'Église ont fait partie de ses électeurs et beau­coup de catholiques votaient pour d'autres partis. Aujourd'hui encore, certaines personnalités politiques s'inspirent des grands principes de la démocratie chrétienne et ont le courage d'exprimer clairement leur attachement à cette orientation. Ils n'en sont pas pour Autant des « candidats de l'Église », auxquels tous les catholiques devraient apporter leurs suffrages.

    La formulation d'un programme politique relève d'une analyse de situation et de choix parmi des hypo­thèses de solution. Cette analyse et ces choix peuvent rire éclairés et soutenus par des références chrétiennes. Mais ces références chrétiennes ne peuvent jamais assurer une légitimité exclusive. Elles peuvent aboutir à des conclusions sensiblement différentes et à des candidatures diverses. Dans cette légitime diversité, il reste que la référence chrétienne apporte des éléments de décision tant par rapport aux programmes présentés que par rapport à la personnalité des candidats. Les documents présentés par la Conférence épiscopale au :ours des semaines précédant les échéances électorales proposent à tous les catholiques un condensé de ces repères pour la décision.

    Mais, même munis de ces références, un certain nombre de catholiques s'interrogent sur la légitimité morale du vote pour tel ou tel candidat, compte tenu du programme qu'il a publié ou des engagements qu'il a clairement pris de procéder à une réorganisation de la vie sociale qui paraît contestable, voire inadmis­sible. Dans cet embarras, il convient d'avoir présents à l'esprit quelques repères.

     La finalité normale d'un processus électoral est d'aboutir à la désignation d'un candidat parmi d'autres. Le mode d'élection à deux tours peut inciter à utiliser le premier scrutin comme l'opportunité d'exprimer notre soutien au candidat dont le programme et l'approche correspondent le mieux à nos propres convictions - et c'est bien naturel. Le second tour, en diminuant radicalement le nombre des candi­dats, réduit (et éventuellement anéantit) les possibilités d'un choix positif. On a coutume de dire qu'au pre­mier tour on choisit, tandis qu'au deuxième on éli­mine.

    Toutefois, l'expérience imprévue du mois d'avril 2002 introduit un nouvel élément de réflexion : dans quelle mesure le « choix » du premier tour ne va-t-il pas aboutir à une élimination ? Peut-être le système électoral est-il à revoir en fonction de cet élément nou­veau. Mais, en l'état, un électeur peut légitimement se demander si, en votant au premier tour pour le can­didat qui lui semble le meilleur, il ne risque pas de contribuer à l'exclusion d'un autre dont il se sent moins éloigné que de ceux qui restent finalement en lice. D peut se retrouver au deuxième tour face à deux candidats pour lesquels il lui semble en conscience tout aussi impossible de voter.

    Cette hypothèse d'école suggère que, dans les déci­sions politiques, nous devons soigneusement distin­guer ce qui relève de l'impossibilité de conscience et ce qui relève d'un choix encore acceptable même s'il ne correspond pas totalement à nos convictions, parce que alors un bien (même modeste) reste réalisable ou peut être sauvegardé - en tout cas davantage que dans d'autres hypothèses. Il ne s'agit pas de se résigner au « moindre mal », mais de promouvoir humblement le meilleur possible, sans illusion ni défaitisme, et sim­plement avec réalisme.

La moralité personnelle des candidats

    Cette question a été posée brutalement au cours des _erniers mois, mais elle dépasse les cas particuliers. Nous le savons, le problème n'est pas de choisir le can­didat qui a une vie personnelle irréprochable : si c'était e cas, qui pourrait se présenter aux suffrages ? Il ;onvient plutôt de s'interroger sur la séparation si faci­lement admise aujourd'hui entre la vie publique et la vie privée. D'une part, on peut très bien comprendre -je l'on ne vote pas pour quelqu'un en fonction de sa manière de conduire sa vie privée, à condition toutefois que celle-ci ne devienne pas un argument de campagne. Mais d'autre part, on peut aussi s'interroger sur la pos­sibilité réelle de séparer ces deux domaines de l'exis­tence. En effet, la qualité morale d'une personne ne dépend pas seulement d'une somme d'actes et de faits dont certains seraient plus ou moins répréhensibles ou même délictueux, tandis que d'autres respecteraient les normes éthiques communément reçues ; elle repose fon­cièrement sur la droiture de vie et le dynamisme des vertus dans le comportement personnel. Comment peut-on imaginer que l'honnêteté, l'intégrité, la fidélité à ses convictions et à la parole donnée, la force de caractère dans les difficultés, le courage de défendre certaines valeurs contre des opinions contraires, etc., puissent suivre un régime complètement différent dans la vie personnelle et dans l'exercice de fonctions publiques ?

    Notre histoire nationale donne des exemples mul­tiples de cette dissociation, mais cela n'autorise pas à conclure qu'elle serait saine et que les domaines privé et public seraient rigoureusement étanches l'un à l'autre. Certes, les plus hautes responsabilités ont été exercées dans l'histoire de notre pays (et de bien d'autres) par d'honnêtes gens qui manquaient d'enver­gure aussi bien que par de grands hommes qui se comportaient dans l'intimité de manière discutable ou même scandaleuse. Mais, avec le recul du temps, s'il est clair que les vertus personnelles ne garantissent pas une politique avisée, il est permis de se demander si telle ou telle faiblesse de conduite ou de caractère n'a pas au bout du compte, au-delà de victoires initiales, nui au service de la collectivité nationale et de la paix. N'est-il pas légitime de s'interroger sur la capacité de gouverner un pays chez quelqu'un qui donne des signes qu'il ne maîtrise pas sa propre vie ?

    Les quelques points qui viennent d'être évoqués montrent que les décisions que nous serons amenés à prendre dans l'année qui commence méritent une sérieuse réflexion. Ce petit volume rassemble quelques paroles publiques que j'ai été amené à prononcer dans différentes occasions. Elles sont données dans l'ordre chronologique et veulent simplement rappeler que l'intervention de l'Église n'est pas directement provoquée par les échéances électorales. Elle se pro­duit régulièrement au gré de circonstances diverses. Puissent ces quelques réflexions contribuer à éclairer les catholiques soucieux de préparer sérieusement leur participation aux élections. J'ose aussi espérer que les questions qu'elles soulèvent pourront intéresser au-delà des limites de la communauté catholique.


Le rôle des religions dans le monde :

    Une double tension traverse nos sociétés démocra­tiques et développées de l'Europe de l'Ouest. Cette tension marque aussi l'ensemble du monde pris :omme «village global». D'une part, nous voyons ?' affirmer la revendication de chaque particularité -pour ne pas dire de chaque particularisme -, avec l'idée que toute différence doit être respectée. Mais d'autre part, nous constatons une difficulté à accepter pratiquement ces différences : crainte d'être une mino­rité opprimée, réticence à reconnaître l'« étrangeté » de l'autre. Cette double tension est une cause certaine de la violence aussi bien à l'échelle internationale qu'au sein de chaque pays.

    Contrairement à ce que certaines utopies ont pu imaginer, l'unité dans la différence reste une épreuve que les hommes sont constamment tentés d'esquiver. En matière religieuse, la double tension que j'essaye de décrire se traduit à la fois par l'exigence de respect mutuel et de dialogue que la culture ambiante fait peser sur les diverses communautés et par la volonté de ramener toutes les religions, par-delà la spécificité de chacune, à une réalité commune et indifférenciée. Les autorités religieuses sont priées de s'entendre, de dire les grandeurs des autres, de se concerter, tandis que les hommes politiques, les journalistes et une grande part de l'opinion réagissent comme si les dif­férences entre les religions devaient être ramenées à des détails sans importance. Ce phénomène est véri-fiable essentiellement en Europe occidentale.

    Le dialogue interreligieux ouvre une tout autre voie, dont l'originalité n'est sans doute pas assez perçue. Il joue à deux niveaux.

Rapport à l'universalité et fraternité des croyants

    Tout d'abord, chaque religion est invitée à réflé­chir sur son propre rapport à l'universalité au-delà de la diversité des identités. Ce que l'on peut appeler entre nous « les grandes religions », celles qui sont porteuses de culture et non pas seulement de contre-culture, celles qui ont une interprétation de l'histoire du monde, ne comprennent pas toutes l'unité du genre humain et l'interdépendance planétaire de la même façon, mais elles possèdent aussi des res­sources pour penser l'universalité de manière paci­fique et patiente. Même une religion qui se considère destinée à devenir celle de tous les hommes ne confond pas cet aboutissement avec le chemin semé de délais qui y conduit.

    Dans cette perspective, ce n'est pas un excès de reli-i qui est source de violence, mais un manque - ou âne religion mal approfondie, insuffisamment intério­risée. C'est un travail que chaque religion doit faire - ar elle-même, à partir de sa propre cohérence, stimu­lée par la rencontre des autres, mais en tout cas dans la recherche d'une plus grande fidélité à ses propres sources.

    Ensuite, les hommes religieux sont appelés à se . innaître les uns les autres. Dans un monde où la . rlture sécularisée de l'Occident s'étend et s'impose grâce à la fascination qu'exercent sa réussite écono­mique et ses industries du loisir, les croyants perçoivent rntre eux une certaine fraternité. Même si le contenu d la structure de la relation à Dieu sont propres à cha-.un, les uns et les autres ont en commun de recevoir leur vie de plus grand qu'eux et d'avoir à lui en rendre .ompte. Même si les conceptions de la liberté sont Différentes, chacun a la conviction que le cœur de son existence se situe dans un rapport intime avec Celui :ui l'a fait. Tout ceci mène inévitablement à une ision plus ou moins partagée de ce qu'est l'homme. A l'inverse, une certaine culture contemporaine s'interdit de comprendre le fait religieux et s'empêche donc d'aborder positivement et fraternellement les grandes civilisations du monde. Mais les croyants ne peuvent être insensibles aux grandeurs d'autres tradi­tions et il leur est ainsi possible, sans pour autant renoncer à ce qu'ils sont, d'ouvrir la culture dont ils vivent à certaines des ressources des autres religions.

    II est évident qu'un tel travail, dans sa double dimension, ne peut s'accomplir qu'en ayant conscience des fautes et des faiblesses qui ont émaillé l'histoire. Nul ne peut aller vraiment vers l'autre s'il ne commence pas par reconnaître ce qu'il a fait subir à celui-ci, l'offensant dans son ouverture même à Dieu. De ce point de vue, je me permets de souligner l'importance de la repentance célébrée par l'Église catholique sous l'impulsion du pape Jean-Paul II, sans dissimuler les efforts nécessaires pour que tous les fidèles catholiques entrent dans cette démarche.

De la reconnaissance mutuelle à la coopération

    Ce que je viens d'esquisser des finalités du dialogue interreligieux et de son rôle pour la paix dans le monde aujourd'hui vaut bien sûr pour toutes les religions. Mais les trois religions que nous représentons à cette table -le judaïsme, l'islam et le christianisme - ont entre elles, qu'elles le veuillent ou non, des liens tout à fait parti­culiers. Cela s'est manifesté dans les rencontres entre imams et rabbins qui se sont tenues récemment à Bruxelles et à Séville et auxquelles plusieurs représen­tants catholiques ont été invités comme témoins et aussi comme médiateurs. La déclarationNostra aetate du concile Vatican n a rappelé le lien spécial qui, du point de vue chrétien, unit l'Église au peuple juif. Le même texte expose également, depuis l'intérieur de la foi, les fondements de la rencontre des chrétiens avec les musulmans et avec les autres religions du monde.

    Il est désormais possible et même nécessaire, pour '.à paix du monde à laquelle notre Créateur nous engage à contribuer et pour laquelle nous aurons des .omptes à lui rendre, d'agir ensemble face aux grands maux: la faim, la violence, la pandémie du sida.,. C'est ce qui a pu être réalisé en Argentine lors de la .nse économique de 2001, grâce à des boulangeries idministrées en commun par des prêtres et des rabbins. C'est ce qui a été récemment conclu entre le Saint-Siège et les grandes organisations juives mondiales pour travailler ensemble à soigner les malades du sida, en distribuant largement des médicaments génériques. Et c'est la première rencontre de juifs et de catholiques la terre d'Afrique, avec la participation de musul­mans.

    L'intérêt de ces coopérations est qu'elles ne cherchent pas à contourner nos différends ni même nos diffé­rences par des démarches séculières. Elles consistent iu contraire à mettre en œuvre notre responsabilité devant les dons de Dieu, en étant fidèles dans l'action _ux principes éthiques qui en découlent. Si ces prin-.:pes inspirent pour une bonne part le droit interna­tional, c'est parce que des croyants, sans s'attacher à leurs intérêts immédiats, tiennent à les vivre dans la plénitude de leur dimension religieuse et les laissent déployer leur fécondité.

    Bien d'autres pistes mériteraient d'être explorées : : imment nos religions peuvent-elles contribuer à ce que s'instaure partout un développement solide, alors _je l'on voit de nouveau se creuser l'écart entre les pays qui ont « décollé » et ceux qui n'y parviennent pas ? Que l'on songe aux graves problèmes que pose l'immigration continue d'Africains vers l'Europe et de Sud-Américains vers les États-Unis et le Canada. Pouvons-nous supporter que des hommes préfèrent tout quitter et risquer de perdre leur vie plutôt que de rester sur leur terre auprès de leur famille ?

    Ainsi, le dialogue interreligieux et la coopération qu'il stimule peuvent ne pas rester la spécialité de quelques-uns, mais tracer des chemins concrets pour la paix entre les hommes et dans les cœurs, par-delà les différences culturelles, voire à travers elles.


La place des chrétiens dans la société:

Ce que j'ai à vous dire s'articulera autour de trois iièmes qui recoupent d'une certaine façon des situa­tions bien connues. Ces trois thèmes sont comme trois tapes d'une réflexion : I. Être dans le monde sans être du monde ; II. Les choix de la liberté ; III. Ce qui est dans le monde.

I. Etre au milieu du monde sans être du monde,
 c'est la situation que connaissent tous les chrétiens, depuis la mort et la Résurrection du Christ jusqu'à nos jours. Et c'est la situation qu'ils connaîtront jusqu'à la fin des temps. Pour aider à réfléchir à cette situation, voici un extrait d'un texte qui date probablement du deuxième siècle de notre ère. Il est connu sous le titre de Lettre à Diognète. On y trouve quelques phrases qui éclairent ce que nous vivons :

    Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n'habitent pas de villes qui leur soient propres. Ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur vie n'a rien de singulier... Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nour­riture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils s'acquittent de tous les devoirs de citoyen et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde. Ils ont des enfants, mais ils n'abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l'emporte en perfection sur les lois.
 - Lettre à Diognète, V (2e édition, « Sources chrétiennes » n° 33 bis, éditions du Cerf, Paris, 1965, p. 63).

    C'est la description de la situation où nous nous trouvons : à la fois pleinement intégrés au monde, à la société, à la culture, et en même temps jamais satis­faits ; aspirant toujours à ce que le message d'amour du Christ soit reconnu, et confrontés en permanence à l'opposition que ce message suscite ; sans cesse dési­reux que notre foi chrétienne fasse de nous des artisans de paix et supportant sans fin que notre foi soit un objet d'objection ou de répulsion. Comment arrivons-nous à vivre cette aspiration profonde à la paix et à l'amour en même temps que nous devons affronter des différences irréductibles ? Faut-il renoncer, remettre à plus tard - c'est-à-dire à jamais - la mise en œuvre de l'Évangile ? Ou faut-il au contraire devenir des alitants ardents, au risque de nous couper de nos semblables ?

    Trop souvent, nous considérons que la méconnais­sance ou le rejet du Christ ou la critique de notre foi viennent simplement d'une méprise, d'une ignorance :u encore d'une faute morale. Mais nous oublions alors que cette fracture entre le modèle chrétien et ambiance dominante est constitutive de la foi. Le rhrist, Fils unique de Dieu, pleinement Dieu, Dieu très saint, Dieu juste, Dieu-miséricorde, Dieu-amour, est venu partager l'existence d'une humanité qui n'est ras--emblée ni par l'amour, ni par la sainteté, ni par la justice, ni par la perfection.

J'en tire six conclusions.

1.  Il n'y a jamais eu d'âge d'or. Bien sûr, vos grand- mères et peut-être encore vos mères ou vos pères vous racontent que, dans leur jeunesse, tout allait beaucoup mieux, que tout le monde était chrétien, que tous allaient à la messe le dimanche, le sourire aux lèvres et le missel sous le bras. Mais nous savons bien que la réalité était moins idéale. L'étrangeté du Christ et .elle de l'Évangile n'ont jamais été absorbées par aucune société ni aucune culture.
2.  Il n'y a jamais de coïncidence complète entre la foi chrétienne et un système social ou politique. Il ne
..ffit pas de dire que le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde. Il faut encore comprendre qu'aucun royaume de ce monde ne peut être le Royaume de Dieu.
3.  La foi chrétienne ne peut jamais se réduire à un système philosophique ou idéologique. Elle produit toujours un écart avec les conceptions de la vie les plus communément admises.
4.  Il n'y a pas de terre promise pour les chrétiens en ce monde. Ils sont donc toujours de quelque façon étrangers ou étranges. On ne peut pas imaginer que le chrétien soit purement et simplement superposable avec le citoyen-honnête homme. Être chrétien, cela ne peut, n'a jamais pu et ne pourra jamais être comme tout le monde avec seulement en plus une statue de la sainte Vierge sur la cheminée de la chambre. Ça ne suffit pas. Être chrétien introduit forcément une différence.
5.      La mission des chrétiens n'est pas de fuir le monde, mais d'y pénétrer et d'y annoncer la Bonne Nouvelle. Au cours des âges, les tentatives pour constituer des enclaves chrétiennes n'ont pas manqué. Qui n'a entendu parler des « réductions jésuites » pen­ dant la colonisation espagnole de l'Amérique latine ou des villages chrétiens en Afrique lors de la première évangélisation ? Même s'il y avait sur le moment des raisons de créer de telles sociétés chrétiennes, elles n'ont jamais pu durer. Il n'y a pas d'îlot de chrétienté inexpugnable dans le monde.
6.       La situation des chrétiens dans un monde pro­ fessionnel dominé par des impératifs économiques est inévitablement une situation d'instabilité à surmonter. Quand je parle d'instabilité, je ne pense pas d'abord à celle de l'emploi, dont tout le monde sait qu'elle existe, mais à un décalage par rapport à tous les objec­tifs de rentabilité, par rapport à une adhésion sans faille à ces objectifs, par rapport au renoncement aux autres dimensions de la vie qui sont plus ou moins implicitement nécessaires si la réussite dans une car­rière prime tous les autres projets. Le chrétien sait de source sure que la réussite professionnelle n'est pas le critère du bonheur.

II. Les choix de la liberté.

     Il n'y a pas d'amour ni  d'engagement  sans  liberté.  C'est pourquoi la libération de l'homme est au cœur de tout système qui ambitionne de proposer le salut. Or la foi au Christ ambitionne de proposer le salut, le bonheur. Sinon, elle n'a guère d'intérêt. Nous ne sommes pas là pour apporter des nuances dans les couleurs des murs de la maison. Nous sommes là pour proposer une autre architecture. Si l'on trouve satisfaisante la configuration dont tout le monde s'accommode, on  perd   son  temps   à  chercher  des   coloris   qui mettront en valeur les boiseries. Ce n'est pas pour ce genre de raffinement que Jésus-Christ est venu. C'est pour nous faire vivre autrement. Et la question à laquelle notre vie nous confronte est : qu'est-ce que la liberté ?

1On peut parler des libertés publiquesNous en bénéficions dans notre pays. Cela désigne des droits aux biens nécessaires à l'exercice de toute liberté : droit à la vie, au respect de la vie, à la santé, à l'édu­cation, à la formation, au travail, à la subsistance fami­liale... Énumérer ces droits et d'autres encore suffit à faire mesurer que nous sommes certes libres, mais que, comme le faisait ironiquement remarquer George Orwell dans La Ferme des animaux, « certains sont plus égaux que les autres », c'est-à-dire que nous ne sommes pas tous également libres. Tous n'ont pas les mêmes droits à la vie et au respect de la vie, à la santé, à l'éducation... La conquête de ces droits - je ne parle pas de leur fondement métaphysique, car nul ne conteste que ce sont là des droits fondamentaux, mais de leur mise en œuvre effective - requiert un labeur incessant. Dans notre société, il est de bon ton de se vanter de promouvoir efficacement, intégralement et inconditionnellement les droits de l'homme. Mais il reste à l'évidence beaucoup à faire pour remédier aux inégalités sociales et plus encore pour le respect de la vie, notamment à ses débuts depuis la conception et à son terme, parce que en ces domaines la mise en cause des droits n'est pas frontale et invoque la « qua­lité » de la vie...

2. Cependant, plus importante que les libertés publiques est la liberté de l'intelligencec'est-à-dire la possibilité pour tous d'avoir accès à la vérité. Qu'est-ce que cela peut signifier dans une société de communication, dominée par le formatage de l'information et la construction d'une « pensée unique » ?

     Quelle liberté a-t-on d'exprimer ce que l'on croit ? Il est vain de se consoler en se disant que, si l'on ne raconte que ce qu'il faut pour garder sa place, on reste libre de penser ce que l'on veut. Mais une conviction qui n'arrive jamais à trouver une expression sociale est vouée au secret, à la nécrose et à la disparition.
On peut vivre un certain temps en cachant ce que l'on croit, mais il vient un moment où l'on finit par ne plus croire ce que l'on cache. Il n'y a de véritable liberté de l'esprit que s'il y a une liberté d'expression - une possibilité de dire ce que l'on pense sincèrement être vrai.

3Il y a enfin un troisième degré de la liberté : c'est la liberté moraleautrement dit la possibilité de choisir nos manières de vivre sans être jugés, condamnés et exclus. Chacun sait, au moins pour l'avoir entendu dire, qu'une société démocratique fonctionne grâce à l'élaboration d'un certain consen­sus par la négociation. Les transformations ne s'opè­rent pas par la force, mais par l'aboutissement à un certain modus vivendi. Mais il y a des choses qui ne se négocient pas, des circonstances où il ne reste qu'à choisir son camp, des lignes sur lesquelles il faut résister. Lesquelles ? Il vaut la peine de se le deman­der avant de s'engager sur la voie de la compromis­sion, de la capitulation et de la perte de liberté. Pour éclairer cette recherche, voici un passage du livre du Deutéronome :

    Moïse disait au peuple d'Israël : « Je te propose aujourd'hui de choisir ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. Ecoute les commandements que je te donne aujourd'hui : aimer le Seigneur ton Dieu, marcher dans ses chemins, garder ses ordres, ses commandements et ses décrets. Alors tu vivras et tu multiplieras... Je prends aujourd'hui à témoin contre toi le ciel et la terre : je te pro­pose de choisir entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton
Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c'est là que se trouve la vie, une longue vie sur la terre que le Sei­gneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob. » (Deutéronome 30, 15... 20.)

    D'une certaine façon, cette option radicale à prendre entre la vie et la mort, entre le bonheur et le malheur, entre la bénédiction et la malédiction est au cœur de chacune de nos libertés. C'est à chacun de nous de savoir quel chemin il veut prendre, quelles ruptures il est prêt à assumer pour être fidèle à des convictions qui ne sont pas négociables. C'est à chacun de nous de savoir s'il veut être fidèle à la Parole de Dieu ou au contraire suivre d'autres chemins.

III. « Tout ce qui est bien »
     On pourrait formuler cela d'une autre façon en posant la question : peut-on être chrétien et joyeux ? Le christianisme ne consiste-t-il qu'en interdits, frustrations et conflits permanents ? Voici cinq pistes de réflexion.

1. Quelle est la racine, la source de la joie ?
Qu'est-ce qui nous rend joyeux et même heureux ? L'allégresse, c'est la légèreté de l'être. Alors qu'est-ce qui nous rend légers ?

Cf. la Première épître de saint Paul au Thessaloniciens  5, 16-21 : « Soyez toujours dans la joie. Priez sans cesse. Rendez grâce en toute circonstance, car c'est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N'éteignez pas l'Esprit. Ne méprisez pas les dons de prophétie. Examinez tout avec discernement. Retenez ce qui est bon. Tenez-vous à l'écart de toute espèce de mal. »

    Est-ce d'éviter tout conflit ? Si c'est le cas, nous ne serons contents que dans la mesure où nous aurons assez de souplesse pour esquiver les discussions, les confrontations, les objections et nous déclarer d'accord avec tout et son contraire au gré des circonstances... Mais le sort des girouettes nous fait-il envie ?
    À quoi aspirons-nous ? Est-ce à la satisfaction de tous nos désirs ? Nous l'obtiendrons si nous pouvons nous payer tout ce qui nous plaît, tout ce qui nous tente, puisque dans ce monde - et il y a un certain temps que ça dure - il faut de l'argent pour s'offrir ce dont on rêve. Et s'il s'agit de ne se priver de rien, il faut beaucoup d'argent. Il n'existe que trois méthodes pour s'en procurer : le vol, la fausse mon­naie et le travail. Il y a bien sûr l'héritage, mais cela ne peut concerner qu'une minorité. Donc, si l'on veut avoir des moyens et que l'on n'est ni un bandit ni un escroc, il faut travailler - sans relâche, toujours plus. Or plus on travaille, plus on se fatigue et du coup plus on a besoin de se détendre, de satisfaire ses désirs
-    jusqu'au point où les envies dominent tout et où l'on perd le contrôle de son existence. Où va s'exercer alors la maîtrise de la vie qui est nécessaire à la liberté
-    au bonheur d'être libre ?

2. Dans notre monde, tout n'est pas mauvais.
    Il n'est pas besoin d'être historien pour voir combien la vie s'est améliorée dans notre pays. J'ai connu le temps où la télévision n'existait pas et où toutes les maisons n'avaient pas l'eau courante. Mes parents ont connu le temps où il n'y avait pas l'électricité dans chaque foyer. Des progrès considérables ont été réalisés
en quelques dizaines d'années. La vie a été rendu non seulement moins pénible, mais encore moins cruelle. Comment ne pas reconnaître aussi l'extension autour de nous d'un esprit de générosité, pas simplement pour se faire voir, pour se donner une bonne image de soi-même, mais parce que beaucoup de nos contemporains éprouvent de réels sentiments de compassion ?
    Il y a beaucoup de choses magnifiques dans notre monde. Il s'ensuit que l'on ne peut pas porter un jugement simpliste, même sur l'univers économique, même sur des aspects très discutables de la marchan­disation de tous les biens. Il n'y a que dans les wes­terns que les gentils et les méchants portent des étiquettes pour ne pas se tromper quand ils tirent. Mais dans la vie ordinaire, rien n'est jamais aussi tranché. Il faut soupeser, comparer, réfléchir, démêler ce qui est mauvais et ce qui est bon. Voici un extrait d'une épître de saint Paul qui peut éclairer ce discernement :

L'Esprit le dit expressément : dans les derniers temps, certains renieront la foi, s'attacheront à des esprits séduc­teurs et à des doctrines inspirées par les démons, égarés qu'ils seront par l'hypocrisie des menteurs marqués au fer rouge dans leur conscience : ils interdiront le mariage, ils proscriront l'usage de certains aliments, alors que Dieu les a créés pour que les fidèles, ceux qui connaissent pleinement la vérité, les prennent avec action de grâce. Car tout ce que Dieu a créé est bon et rien n'est à rejeter si on le prend avec action de grâce. (1ère épitre Tim 4,1-5)

Comment regarder le monde et y vivre dans l'action de grâce, c'est-à-dire en y reconnaissant l'action de Dieu?

3 Il faut tenir compte de la force des confor­ mismes.
     Chaque génération, la mienne comme la vôtre, comme les précédentes et comme sans doute les suivantes, fait profession d'anticonformisme. Mais c'est toujours une attitude collective, de masse, mou­ tonnière : on suit la mode, le goût du jour. Ce n'est plus de l'originalité, c'est un nouveau type de confor­ misme. Un flot continu d'images, de messages médiatisés imposent et banalisent des modes de vie plus ou moins inédits et nous persuadent que, pour être nor­ mal, il faut adopter et reproduire les modèles de la publicité. Contre ce conformisme, que pouvons-nous ? Il n'y a que deux solutions : ou bien le lobbyingqui consiste, quand on est dix, à faire du bruit comme si on était cent, et quand on est cent mille, à faire croire qu'on est un million ; ou bien la liberté intérieure, qui nous permet de définir notre chemin, pour imiter non pas nos contemporains ou nos pairs, mais le Christ.

4.Nous sommes dans une société du spectacle.
    C'est une affirmation banale, mais qui va plus loin qu'on ne le pense. Car le spectacle n'est pas une fin en soi. Ce n'est qu'un moyen pour susciter des sen­timents dont l'expression constituera un nouveau spec­tacle, et ainsi de suite jusqu'à l'irruption d'imprévus spectaculaires qui relanceront le cycle. Nous nous don­nons ainsi perpétuellement en spectacle les uns aux autres et finalement à nous-mêmes. Les témoignages et les commentaires dans les médias nous disent ce qu'il faut ressentir et même ce qu'il faut faire :envoyer sa signature et/ou de l'argent, afin de garder bonne conscience, d'être bien vu et de soigner son image. Mais ce qui change le monde, ce n'est pas les promesses de don. Ce sont les personnes qui se donnent réellement. On peut certes aider par une contribution financière, mais on ne peut pas remplacer le don de soi par un chèque. On ne peut pas s'acheter la liberté de satisfaire ses propres désirs en finançant le dévoue­ment des autres. Nous ne sommes pas appelés à nour­rir les bons sentiments, mais à aimer « en acte et en vérité ».

5. Est-il possible de changer quelque chose en ce monde ?
    Si je croyais que non, je me tairais. Ce qui peut tout changer, c'est la manière dont chacun et cha­cune d'entre nous passe de la bonne intention à la mise en œuvre, de l'élan de générosité au partage effectif, de la compassion à l'engagement, de l'idée à la réalité. Jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour construire un monde meilleur ? Je crois que la foi ne permet pas d'ignorer cette question qu'elle pose et qu'elle aide à y trouver des réponses concrètes.


URGENCE mobilisation:  " Carton rouge à l’euthanasie "


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