samedi 20 septembre 2014

"L’urgence de la chair" (Benoit dans "cahiers Libres")




L’adulation haineuse du corps

Comment comprendre que notre temps soit à la fois celui de l’idolâtrie et du mépris du corps ? Comment comprendre que le succès des spas soit contemporain à celui des crématoriums ? D’un côté le corps est aimé, adulé ; de l’autre il est méprisé, il s’agit de s’en délivrer.


Pour penser cette ambivalence de notre rapport au corps, peut-être faut-il distinguer dans ce que nous appelons habituellement le “corps”, différentes réalités : d’une part le corps plastique (purement matière), d’autre part le corps sensible ; d’une part notre viande (inerte), d’autre part notre chair (animée) ; d’une part le corps comme outil (et donc comme extérieur à nous-mêmes), d’autre part le corps comme adhérant à notre intime. Résumons cette distinction, que nous reprenons à Husserl et à la tradition phénoménologique, à travers le binôme corps / chair 1


En distinguant ces deux niveaux, nous voyons que le dualisme classique entre le corps et l’âme est comme répété au niveau même de notre corps. En effet, notre âme est toujours incarnée, encharnée, et donc notre corps lui-même ne se réduit jamais à une simple matière. Assumé par notre âme, il devient chair sensible. Non plus simplement notre objet (le corps), mais l’épaisseur même de notre âme (la chair).


Cette vérité que nous expérimentons (que les amoureux et les martyrs expérimentent de manière si intense quand le don de leur cœur se dit par celui de leur corps) a cependant été comme étouffée par le rationalisme étroit de la modernité. À cette conscience de l’union de l’âme et du corps en une chair – en une “âme charnelle”, comme disait Péguy – s’est bien souvent substitué un dualisme imperméable : le corps comme machine livrée au pouvoir de l’âme, et l’âme comme raison calculatrice permettant d’optimiser notre usage des corps. Ce binôme, raison-calculatrice et corps-outil, est l’un des tristes fondements de la modernité2.

Rouault, “Miserere”, 1917.


La prophétie des artistes


La modernité n’a pourtant pas le pouvoir d’abolir cette pénétration de l’âme au plus intime de nos corps. Si un rationalisme étroit domine, la vie charnelle n’est jamais très loin et n’attend qu’à se réveiller. À une fin de XIXe siècle où triomphait un
positivisme oubliant la chair, répond au début du XXe siècle l’émergence d’innombrables mouvements artistiques d’une sensibilité à fleur de peau. “À fleur de peau”, c’est dire que la peau, le corps, n’est plus l’outil de l’homme, mais son âme elle-même. La puissance d’un Rouault, d’un Chagall, d’un Max Jacob, d’un Cocteau, ou d’un Péguy trouve peut-être sa source secrète dans cette expérience de l’âme pointant à l’orée de la peau, en ce lieu de notre être où, comme disait Péguy, l’âme et le corps “sont tous les deux âmes et tous les deux charnels”3.4.


Les artistes sont nos prophètes. Leurs mots, leurs notes, leurs couleurs ont pris le relai du verbe d’Isaïe, d’Ézechiel, Daniel et Jérémie. Non qu’ils indiqueraient un avenir, un changement, un nouvel homme ; mais, au contraire, comme tout vrai prophète, ils puisent à la source même de la Création, à ce monde sortant des mains du Créateur. Ils nous renvoient à cette terre originelle, ce limon dans lequel est inspiré une “haleine de vie” (Cf. Gn 2, 7). Leur verbe jaillit du silence divin (Cf. Sg 18, 14).

"Charnellement situé aussi près de la source charnelle de la création" (Charles Péguy)5.

Mais prophètes, ils le sont aussi en cela que ce qu’ils disent et montrent, nous ne voulons l’entendre, ni le voir. Cette chair perdue de l’homme, le moderne n’en veux rien savoir.

Ce qu’il nous manque, c’est une chair !


Si les modernes l’ignorent, les médiévaux le savaient ! L’homme médiéval 6 avait conscience d’être un milieu entre l’animal et l’ange 7. Comme l’ange, il est rationnel ; mais comme l’animal, il est mortel. L’homme moderne, ayant oublié l’ange, ne se définit plus que par son opposition à la bête, c’est-à-dire par sa raison. Il lui faudrait un Ange pour rétablir l’équilibre, lui rappeler qu’il n’est pas que raison, quepur esprit ; qu’il n’est pas qu’ange, mais qu’il est aussi animal, corporel et mortel. “Qui veut faire l’Ange, fait la bête” disait Pascal, la leçon n’est toujours pas acquise. L’homme sans sa chair, sans la vulnérabilité de sa peau nue n’est plus homme.

Si cette chair est refoulée. Si elle nous fait si peur, c’est qu’elle est en nous un point de contact immédiat avec le monde, poreuse à chaque vibration de son environnement. Dans un corps outil, dur et imperméable, de pierre, ma raison peut se réfugier. Inatteignable, elle peut y jauger le monde sans jamais être touchée. Depuis une tour d’ivoire, elle jouit sans souffrir. Mais dans une maison poreuse, dans une maison charnelle, l’âme n’a plus où se réfugier. Lorsque la chair est touchée, c’est l’âme elle-même qui en est affectée, et ce, pour l’union nuptiale des époux comme pour la triviale engueulade. Notre chair non seulement noue notre âme à notre corps, mais la noue à celle de tous les hommes ; chaque fois qu’un homme est blessé, par ce lien charnel de l’humanité, ma propre âme est abîmée. Chaque fois qu’un homme est aimé, ma propre âme est consolée. Et le Verbe s’encharnant, rejoint cette commune solidarité. Ta chair en ma chair, sa chair en la nôtre, voici le mystère de la communion des saints, mais aussi, pour un temps encore, celui de la solidarité dans le péché…

"En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.
En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait." (Mt 25, 40.45)

La technicisation croissante de notre rapport aux corps (notamment dans le monde de la santé) tend à nous faire oublier ce lien charnel de vulnérabilité. Fracture sociale, échec du vivre-ensemble, manque de solidarité, autant de mots pour ne dire qu’une chose : la rupture de la communion charnelle des saints, l’abandon d’un article du Credo. La solidarité ne se refera pas d’abord par des projets politiques, mais sur le fond d’une humanité partagée. La solidarité n’est pas une unité par les idées, mais une communion dans la chair, c’est-à-dire dans les joies et les souffrances. Aucune société où les corps fragiles et blessés sont méprisés, aucune société où l’enfant (né ou à naître), l’handicapé, le vieillard et le clochard sont mis de côté, aucune d’entre-elles ne peut porter de fruit.

Aussi, l’avenir de nos cités ne dépend que de la perméabilité de nos chairs.

L’adulation-haine du corps n’est que le symptôme d’un monde en désincarnation, d’une société se défaisant, d’un homme se déshumanisant.

Il n’y a plus d’autre issue que de rendre la chair à l’homme et ainsi de la rendre à Dieu.

"Tout est dans l’incorporation, dans l’incarcération, dans l’incarnation." (Charles Péguy)8

Benoît.


(1) Chez Husserl, en allemand, Korper et Leib. []

(2) Évidement, une étude attentive des grands auteurs modernes, et en premier lieu de Descartes, révèlerait que si la plupart avait une conscience aigüe de cette union de l’âme et du corps, il faut cependant constater que la mentalité moderne ignore bien souvent la subtilité des philosophes et que de Descartes, par exemple, elle n’a retenu que son idée d’un corps machine. []


(3) Charles Péguy, Ève, in Œuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1948, Paris. []


(4) Ce que nous disons ici des artistes doit aussi se dire des hommes et femmes livrés à la charité, s’engageant généreusement dans le service des pauvres, c’est, il nous semble, une même expérience qui anime l’artiste et le bon samaritain, celle de la chair, nous y revenons un peu plus bas []


(5) Charles Péguy, Victor-Marie, comte Hugo, Œuvres en prose, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Vol. III, p 247. []


(6) Cf. Rémi Brague, “Un modèle médiéval de subjectivité : la chair” in Au moyen du Moyen Age, Rémi Brague, Champs Flammarion, Paris, 2008. []


(7) Cf. s. Augustin, Cité de Dieu, IX, 13, 3 []


(8) Charles Péguy, Note sur M. Bergson. []




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