dimanche 20 octobre 2013

Clause de conscience des maires : le Conseil constitutionnel insulte l’intelligence juridique - (Nicolas Mathey)


Clause de conscience des maires : le Conseil constitutionnel insulte l’intelligence juridique

La liberté de conscience est un des droits les plus fondamentaux de la personne mais aussi un facteur de légitimité de l'ordre politique. En refusant la clause de conscience au maire désirant ne pas célébrer de mariage entre personnes de même sexe, la décision du Conseil constitutionnel du 18 octobre 2013 affaiblit à la fois les droits de la personne et la confiance, toujours limitée, que nous pouvons avoir en l’État.

POUR MEMOIRE, je commencerai par un bref rappel des faits. M. Franck Meyer et plusieurs autres maires ont saisi le Conseil d’État d'une demande tendant à l’annulation de la Circulaire du ministre de l’intérieur du 13 juin 2013 relative aux « conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d’un officier d’état civil ». Cette circulaire avait pour objet d'intimider les maires ne souhaitant pas célébrer de mariage entre personnes de même sexe en rappelant les règles civiles en matière de célébration des mariages, mais aussi le risque de poursuites pénales à l'égard des officiers d'état civil récalcitrants.

Il est vrai que la légalité de cette circulaire peut être discutée sur plusieurs points, notamment lorsqu'elle affirme que le refus de célébrer un mariage constitue une voie de fait (CF. S. Slama, « Le refus illégal de célébration d’un mariage constitue-t-il toujours une voie de fait ? »). Toutefois, au préalable, les requérants ont soulevé une question de constitutionnalité sollicitant la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

La question était plus précisément de savoir si les articles 34-1, 74 et 165 du code civil et l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales comportaient les garanties qu’exige le respect de la liberté de conscience. Autrement dit, le fait que la loi ne prévoit pas de clause de conscience pour les maires porte-t-il atteinte à la liberté de conscience ? Considérant que la question est nouvelle et que les dispositions contestées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution (ce qui aurait fait obstacle à la QPC) le Conseil d’État (CE, 18 sept. 2013, M. M. et a.) a décidé la transmission de la question au Conseil constitutionnel qui vient de déclarer ces dispositions conformes à la Constitution (Décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 et son commentaire).

Si, sur le fond, la décision n'est guère surprenante, sa forme constitue quasiment une insulte à l'intelligence juridique.

La logique positiviste de la décision

Sur le fond, la solution n'est pas surprenante : elle est en cohérence avec la logique positiviste de notre droit contemporain.

Les requérants soutenaient que l'absence de clause de conscience portait atteinte à la liberté de conscience, au « droit de ne pas être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses opinions ou de ses croyances », au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions ainsi qu'au principe de la libre administration des collectivités territoriales. Bien évidemment, le cœur de l'argumentation était la liberté de conscience.

De manière péremptoire, le Conseil constitutionnel répond qu'en ne permettant pas aux officiers de l'état civil de se prévaloir de leur désaccord avec les dispositions de la loi du 17 mai 2013 pour se soustraire à l'accomplissement des attributions qui leur sont confiées par la loi pour la célébration du mariage, le législateur a entendu assurer l'application de la loi relative au mariage et garantir ainsi le bon fonctionnement et la neutralité du service public de l'état civil ; qu'eu égard aux fonctions de l'officier de l'état civil dans la célébration du mariage, il n'a pas porté atteinte à la liberté de conscience.

Trois idées sont en germe dans cette formule.

Tout d'abord, en rappelant que le législateur a entendu assurer l'application de la loi relative au mariage, le Conseil sombre dans la tautologie : évidemment que le législateur entend faire appliquer la loi qu'il adopte. Mais précisément, c'est là la question pour les maires ! Le Conseil constitutionnel prend ici la question pour la réponse. Ce qui lui était demandé était justement de savoir si le législateur n'avait pas méconnu la liberté de conscience des maires en ne prévoyant pas un tempérament à l'application de la loi. Bref, cela ne répond pas à la question.

Le Conseil ajoute que le législateur avait la volonté de garantir le bon fonctionnement du service public de l'état civil. L'argument est déjà plus précis à défaut d'être convaincant. Le refus de célébrer certaines unions est-il réellement de nature à mettre en péril le fonctionnement de l'état civil ? Lorsque la loi positive prévoit une clause de conscience, elle prévoit toujours une solution alternative qui assure que l'objectif de la loi, fut-elle fondamentalement injuste, sera atteint. Pourquoi, cela ne serait-il pas possible ici ? Le respect de la conscience devrait être premier et les modalités positives de la mise en œuvre de la clause de conscience devraient suivre.

Enfin, le Conseil constitutionnel considère que l'absence de clause de conscience garantit la neutralité du service public de l'état civil. On pouvait craindre qu'il soit fait référence à la laïcité mais prudemment, si l'on ose dire, le Conseil se limite à viser la neutralité. Ce qui est en question ici est le risque de voir les officiers d'état civil refuser de célébrer certaines unions pour des motifs purement subjectifs en fonction de leurs considérations personnelles. Il faut bien reconnaître que c'est là le danger d'une approche subjective de l'objection de conscience. Or, si le Conseil avait poursuivi son analyse, il aurait dû constater que ce n'était pas la démarche des requérants qui entendaient défendre le mariage républicain traditionnel : il ne s'agit pas de défendre une conception personnelle mais ce que le droit a toujours considéré comme étaient la seule union (le mariage entre personnes de même sexe n'ayant jamais existé, si on excepte quelques unions dans la Rome décadente, jusqu'en 2001 !).

Ces trois idées emportent d'autant moins la conviction que le Conseil constitutionnel opère d'ordinaire une forme de contrôle de proportionnalité. Il met en balance des droits et libertés. Pour lui tout est affaire de mesure ; il n'y a pas de droit intangible. Même la dignité de la personne humaine entre dans grande pesée des intérêts ! Il ne fallait donc pas s'attendre à ce que la liberté de conscience soit mieux traitée, bien qu'elle ait valeur constitutionnelle (Déc. cons. constit., 77-87 DC, Loi complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l'enseignement).

Il reste que le Conseil ne nous dit à aucun moment comment il a opéré cette balance. La solution n'est pas surprenante car elle est cohérente avec la logique positiviste de notre système contemporain. Cela ne veut pas dire que la solution s'imposait avec la force de l'évidence : le chef de l’État n'avait-il pas lui-même admis que les maires bénéficieraient de la liberté de conscience ?

Le Conseil constitutionnel a choisi de ne pas considérer que la liberté de conscience des maires était atteinte du fait de l'absence de clause de conscience dans la loi. Il l'a fait en suivant la logique de la loi elle-même et l'absorption de la personne de l'officier d'état civil par l’État impliquant selon le Conseil une différence de traitement par rapport aux professions de santé (cf. sur cette logique R. Letteron, « QRPC sur la clause de conscience des maires : le combat de trop » — cf. le commentaire officiel sur la différence établie avec les clauses de conscience reconnues par le droit positif).

La liberté de conscience n'est qu'une liberté relative. Cette logique est malheureusement également celle de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH). À propos de la liberté de religion, dans une affaire Ladele, la Cour a fourni une illustration de la difficile reconnaissance de l’objection de conscience dans un système profondément positiviste et relativiste. Dans cette affaire, un officier d’état civil londonien avait été licencié après avoir refusé de signer un avenant à son contrat de travail stipulant qu’il pourrait être amené à célébrer des unions civiles entre personnes de même sexe, conformément à la loi anglaise. La Cour EDH a considéré qu'il n'y avait pas eu une atteinte disproportionnée à la liberté de religion de l'officier d'état civil.

En réalité, la liberté de religion, de conscience et l’objection de conscience sont dénaturées en étant intégrées dans un système de droits relativiste (cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n° 399) qui tourne à la police des consciences et non seulement des pratiques.

Le scandale de la forme

Sur la forme, la décision du Conseil constitutionnel est une insulte à l'intelligence juridique. La forme n'a pas toujours bonne presse car le plaideur habile sait parfois en user voire en abuser pour échapper à la justice. Bien au contraire, la forme est non seulement inhérente au rite juridique mais constitue une garantie de la liberté : « Ennemie jurée de l'arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » (Jhering).

Il n'est pas nécessaire de revenir longuement sur les étranges accommodements du Conseil avec son règlement et sa pratique usuelle. Alors que la procédure conduit à rendre une décision deux mois environ après la saisine, l'urgence de la question a manifestement imposé au Conseil de réduire ce délai à trois semaines. Quant à l'intervention d'autres maires se jugeant concernés par la question soulevée, le Conseil affirme qu'ils n'ont pas intérêt spécial à être entendus ! Il s'agit là, si ce n'est d'une violation du Règlement intérieur, du moins d'une interprétation fort étroite de celui-ci.

Après cela, on se demandera légitimement qui peut bien invoquer un intérêt à intervenir ! Cette précipitation traduit un manque de sérénité évident, préjudiciable à la justice.

La faiblesse majeure de la décision réside dans son absence de motivation. Le Conseil constitutionnel nous avait déjà habitués à ces non-décisions, mais là il atteint un niveau de faiblesse impressionnant sur une question difficile. En toute modestie, n'importe quel étudiant de Master aurait pu rédiger une décision allant dans le sens retenu par le Conseil constitutionnel mais infiniment plus motivée. Quel que soit le sens d’une décision, le minimum est qu’elle soit un peu motivée. Le droit et la justice sont des choses sérieuses : le sens de la décision est sans doute décevant même s'il ne fallait guère se faire d'illusion, mais sa rédaction est la marque d'un mépris du Conseil pour sa fonction voire pour la justice. On pouvait attendre autre chose d'une juridiction qui aspire à devenir une sorte de cours suprême au sein de notre ordre juridictionnel.

Contrairement à ce que semblent tenter de faire croire nombre de juristes, une interprétation est toujours plus ouverte que ne le laisse penser la rédaction finale d'une décision de justice. Le Conseil constitutionnel, comme le Conseil d’État ou la Cour de cassation dans leur domaine respectif, opèrent toujours un choix guidé par des considérations de technique juridique mais aussi par des données non juridiques dont il ne fait pas état dans sa décision pour ne pas remettre en cause son statut de technicien du droit au service de la loi ou de la Constitution. L'absence de motivation des décisions de justice, et notamment celle de nombre de décisions du Conseil constitutionnel, cache le pouvoir politique des institutions juridictionnelles françaises.

Des pistes existent

Faut-il en conclure que l'objection de conscience des maires est définitivement proscrite ? Une réponse négative s'impose : si aucune clause de conscience ne sera concédé par notre droit positif, l'objection de conscience reste un droit voire un devoir naturel.

Bien que cela ne soit pas toujours aisé en pratique, des pistes existent qui permettraient de ne pas célébrer personnellement ce type d'unions civiles. Il reste que le plus juste serait de revenir sur cette loi.

Lorsque la question est mal posée, il ne peut y avoir de réponse juste. Ni l'insertion d'une clause de conscience, ni le transfert de la compétence à un fonctionnaire spécialisé, comme cela se fait dans certains pays, ne sont des solutions justes aux difficultés soulevées par la loi du 17 mai 2013. Si la loi est injuste voire inique, la clause de conscience n'est qu'un pis-aller.

L’objection de conscience ne se concède pas ; elle se prend !



Nicolas Mathey est professeur de droit à l’Université de Paris-Descartes. (Blog)



En savoir plus :
Le communiqué du Conseil constitutionnel
La Décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013
L'analyse de l'avocat du Collectif des maires, Me Geoffroy de Vries

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