"Si vous avez 1 Père et une Mère, vous avez une énumération complète, mais si vousdîtes: "une mère et une mère",on ne voit pas bien pourquoi on s'arrêterait la ... l' énumération pourrait alors s'ouvrir indéfiniment... les revendications homophile reconnaissent donc la primauté de la relation Homme/Femme qui est féconde" (Fabrice Hadjadj - Audio ci dessous)
(Toute (forme) de reconnaissance d'un autre modèle que le couple Homme/Femme ouvre automatiquement à la reconnaissance du "trouple" et à la "multi-parentalité", avec comme corélaire, la ruine plus ou moins rapide de la Famille, du couple, du mariage et de la protection de l'enfant)
* Abroger ! pourquoi ? (↩)
"Abroger les racines de la loi" par Michel Pinton - LiberTpol (↩)
"L'abrogation de la loi: Acte fondateur du mouvement" par Joël Hautebert - IF&R (↩)
( Du MariagePourTous au Trouple en passant par le CUC, reconnaissance juridique
non de la différence sexuée mais de la sexuation)
* Abroger ! Comment ? (↩)
par Guillaume Drago - LiberTpol (↩)
"La conventionalité de l'abrogation de la loi du 17 Mai 2013"
par Grégor Puppinck et Claire de la Hougue - IF&R (↩)
VIDEO entretient avec Claire de la Hougue (↩)
"Plusieurs options constitutionnelles"
par Anne-Marie Le Pourhiet - IF&R (↩)
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Sommaire général:
I - Abroger ! La genèse d'une loi et ses conséquences ... (↩)
"Conduire un peuple" par Thibaud Collin - LiberTpol (↩)
Roland Hureaux - LiberTpol (↩)
Geoffroy de Vries - IF&R (↩)
André Bonnet (pseudonyme) - IF&R (↩)
Anne Morineaux-de Martel - IF&R (↩)
Michel Pinton - LiberTpol (↩)
Joël Hautebert - IF&R (↩)
Guillaume Drago - LiberTpol (↩)
Grégor Puppinck et Claire de la Hougue - IF&R (↩)
Anne-Marie Le Pourhiet - IF&R (↩)
Aude Mirkovic - IF&R (↩)
Grégor Puppinck et Claire de La Hougue - IF&R (↩)
Audio Fabrice Hadjadj (↩)
Claude de Martel & Anne Morinneaux de Martel - IF&R (↩)
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Abroger ! pourquoi ?
"Abroger les racines de la loi"
par Michel Pinton
ABROGER LA LOI TAUBIRA? Le bien de notre peuple exige qu'elle le soit et le plus tôt sera le mieux. Mais le gouvernement actuel ne le fera évidemment pas et il est douteux que la droite, si elle l'emporte aux élections présidentielle et législatives de 2017, aille plus loin qu'un modeste replâtrage du texte. J'ajoute qu'un retrait pur et simple n'est pas souhaitable si d'autres conditions ne sont pas remplies. Selon moi, l'abolition du mariage homosexuel doit être insérée dans un ensemble de mesures sans lesquelles elle ne sera pas durable.
Je ne fonde pas mon opinion sur des arguments juridiques ou philosophiques. Ma compétence en ces domaines est trop limitée pour que je m'y hasarde. Ce sont des raisons politiques qui me guident.
I-ÉTAT DES LIEUX
Considérons l'état de l'opinion publique. De multiples enquêtes nous renseignent sur ce quelle pense et comment elle évolue. Depuis une dizaine d'années, les Français sont devenus en majorité favorables au mariage entre personnes du même sexe. Il est vrai que cette majorité est étroite: l'écart entre ceux qui se disent « pour » et ceux qui se disent « contre » est faible. Mais les premiers se recrutant principalement chez les jeunes et les seconds chez les plus âgés, la proportion des « pour » est vouée à grandir, lentement mais sûrement, à mesure que la génération des seniors disparaîtra. Il est vrai aussi que cette majorité est fragile: on l'a vu l'an dernier. Les grandes Manifs pour tous qui ont battu le pavé parisien ont enrayé la progression mécanique dont je viens de parler. Cinq à huit pour cent des Français, jusque-là résignés à une légalisation qu'ils en étaient venus a croire inéluctable, ont pris conscience d'avoir été manipulés, Ils ont basculé dans le camp des opposants. Mais leur adhésion actuelle n'est pas plus solide que l'ancienne. Déjà, ils répugnent à ce que la loi Taubira soit remise en question. Leur souci de tranquillité publique l'emporte sur leur hostilité.
À elles seules, ces considérations sont de nature à faire hésiter la quasi-totalité des responsables politiques de droite et du centre. Mais imaginons un gouvernement décidé à abroger la loi. Il se heurtera aussitôt à de vives résistances. Les partisans du « mariage homo » crieront à la régression des droits de l'homme. Des reportages télévisés exposeront complaisamment le désespoir et le désarroi de « couples » exemplaires privés d'un statut ardemment désiré. Des manifestations de rue dénonceront la pression insupportable exercée par des groupes réactionnaires. L'opinion publique ou tout au moins sa fraction la plus flottante, la plus sensible aux émotions du moment, ne manquera pas d'en être affectée. Elle rejoindra le camp favorable au « mariage homo » qui, du coup, deviendra largement majoritaire et plus décidé que jamais à l'emporter. Un autre gouvernement rétablira la loi et, cette fois, avec le consentement de deux Français sur trois. Plus aucun chef politique n'osera y toucher.
Une action purement politique et menée exclusivement en vue de l'abrogation, n'aurait donc, à mon avis, d'autre effet que de préparer un choc en retour qui ruinerait pour longtemps les chances d'une cause juste. La bonne solution est autre. La trouver nécessite une exploration des raisons pour lesquelles près de la moitié de nos concitoyens considère le « mariage homo » comme un droit légitime. Je vais m'y risquer.
Il - LA LOI TAUBIRA COMME EXPRESSION D'UNE CROYANCE RELIGIEUSE
Les enquêtes d'opinion montrent un fait frappant : le critère qui explique le mieux le choix entre l'approbation et le rejet de la loi Taubira est ce que les instituts spécialisés appellent « la croyance religieuse ». Il n'y a pas plus hostile au mariage des homosexuels que le pratiquant régulier d'un des cultes installés en France, à commencer par le fidèle catholique. Inversement, ceux qui se disent « incroyants » ou encore « sans religion » fournissent les plus gros bataillons des partisans de la loi. Tout le reste découle de là. Si les jeunes sont nombreux dans le second camp, c'est parce qu'ils sont plus éloignés de la pratique religieuse que leurs parents et leurs grands-parents. De même les électeurs de gauche : ils ont délaissé plus que ceux de droite, toute affiliation à un culte.
Interrogeons-nous sur les motivations de ces incroyants. Pourquoi choisissent-ils d'approuver l'ouverture du mariage aux homosexuels?
Ecartons d'emblée les justifications brandies par des universitaires partisans et des pamphlétaires à la pensée superficielle. Non, les « sans religion » ne sont pas plus tolérants ni plus ouverts au progrès ni plus hémophiles que les pratiquants d'un culte. Ces termes vagues n'ont aucune réalité objective. La vérité est qu'un choix aussi radical, aussi catégorique nécessite une conviction arrêtée. Les incroyants trouveraient ils cette conviction dans la force de leur raison? On ne voit pas comment. Même les intellectuels, qui ont le loisir et la capacité de s'élever jusqu'à des réflexions pénétrantes sur ce sujet difficile, sont incapables d'apporter un argument rationnel qui soit irréfutable.
A fortiori, les soucis de la vie quotidienne interdisent aux millions de citoyens « sans religion » de se prévaloir d'une illumination de leur raison. C'est donc qu'ils s'en remettent à...une croyance collective. Elle est toute simple à énoncer. Elle consiste à affirmer que, dans le mariage, le corps n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est l'affinité entre les esprits des conjoints. Soulignons que cette "vérité" n'a rien d'évident. Elle ne peut pas être démontrée. À bien dos égards, elle heurte même la raison. Curieusement nos "sans religion" adhérent à ce qu'il faut bien appeler un article de foi.
D'où vient cette étrange croyance ? Elle n'existait pas dans notre pays il y a seulement soixante ans. Elle est entrée dans l'esprit d'un grand nombre lentement et insidieusement à la suite d'autres croyances qui, toutes, se rapportent à un principe central. Essayons de le mettre à jour.
La contraception et le corps esclave
Selon moi, c'est la loi Neuwirth qui l'a fait naître. À l'époque, les progrès de la biologie ont conduit à un mode simple et efficace de contraception. La « pilule » a été mise sur le marché en 1967. Son succès fut foudroyant. Elle apparut à la quasi-totalité des couples comme un instrument idéal pour maîtriser leur fécondité. Leur aspiration était légitime et la pilule leur a rendu le service qu'ils attendaient d'elle. Mais elle a apporté avec cri avantage, un autre effet, passé inaperçu dans l'euphorie qui a accompagné sa diffusion et sous-estime aujourd'hui encore : en refoulant ou en contra riant les lois naturelles du corps, et plus particulièrement du corps de la femme, la pilule, le stérilet et les autres contraceptifs ont accrédité l'idée que ce même corps n'était qu'un instrument à la disposition des désirs de l'esprit. Soudain affranchi d'une pesante contrainte matérielle, l'individu a été tenté d'aller de plus en plus loin dans la soumission du corps aux volontés, caprices et fantasmes de l'esprit.
La science s'est précipitée au devant de son attente. Elle a multiplié les découvertes qui laissent croire que le corps est un outil que le génie de l'homme peut exploiter à son gré. L'alliance de cette idée nouvelle et de techniques inconnues jusqu'à nous a eu d'immenses conséquences. En définitive, la pilule nous a conduits à regarder la condition humaine tout autrement que nos pères. Si on ne mesure pas son influence, on ne peut pas comprendre pourquoi tant de Français sont devenus favorables à mi bouleversement de nos mœurs inimaginable avant 1967.
L'idée que le corps n'est qu'un outil a pour corollaire, par exemple, l'indifférence à sa sexualité, d'où découle l'égalité de traitement entre hétéro et homosexualité, fondement de la loi Taubira; ou le refus de son corps, qui aboutit au droit à changer de sexe et celui de choisir l'heure de sa mort; ou encore le rejet de la vie autonome du corps, base de l'interruption volontaire de grossesse. L'euthanasie, l'homosexualité, l'avortement ont toujours existé. Mais c'est dans le sillage de la contraception chimique et mécanique qu'ils ont réclamé une reconnaissance positive. Et s'ils l'ont obtenue, c'est parce qu'une part de plus en plus importante de l'opinion publique se reconnaît dans l'idée de ce qu'est l'homme et de sa relation à son corps, que la contraception a suggérée.
Cette idée se présente comme fille des Lumières: elle prétend, elle aussi, faire tomber d'absurdes préjugés et proclame quelle n'a d'autre ambition que d'élargir les droits de l'homme et, plus encore, ceux de la femme. En réalité elle est étrangère à l'esprit des philosophes du xviii6 siècle parce qu' elle n'a rien à voir avec les exigences de la raison. Elle s'appuie sur un dogme central, dont la véracité ne peut être démontrée : le corps humain n'est qu'un outil à la libre disposition des désirs de l'esprit. De multiples croyances en sont issues, comme le caractère émancipateur de l'avortement ou le droit au mariage pour les homosexuels. Ensemble, elles forment ce qu'il est logique d'appeler une religion puisqu'elle en a tous les traits.
Il est vrai que cette religion est purement séculière. Elle ne met l'homme en relation avec aucun dieu. La belle affaire ! Le siècle qui nous a précédés n'a-t-il pas été obligé de lutter contre une autre religion séculière appelée le communisme ? Ne prétendait-elle pas elle aussi changer la condition humaine, apaiser nos relations avec nos semblables et faire de chacun de nous le maître de son destin ? Dans les deux cas, aucun dieu n'est nécessaire. C'est l'homme lui-même qui est divinisé. C'est d'ailleurs une des raisons de leur attrait.
Le retour des cathares
À y regarder de plus près, la religion que nous examinons est moins neuve qu'elle ne le semble. Elle est une résurgence modernisée de la vieille foi cathare, qui avait conquis nombre d'adeptes dans le sud-ouest de la France au XIIIe siècle. Ce que l'on a appelé aussi l'hérésie albigeoise avait|pour dogme fondamental la séparation de l'esprit, par essence bon et le corps, enveloppe de boue dont on pouvait faire ce que l'on voulait, y compris le supprimer par le suicide (acte hautement loué) ou l'exténuer dans les plaisirs les plus variés, à l'exception de la procréation, jugée mauvaise dans son principe même. Les cathares du Moyen Âge applaudiraient la diffusion généralisée de la contraception, la gratuité de l'avortement et la légalisation du mariage homosexuel, par essence stérile. Ils adapteraient volontiers leur doctrine aux attentes des « sans religion » de notre époque, en remplaçant leurs divinités bizarres par un culte de 1n liberté dont la première application serait le droit de disposer de son corps sans restrictions. Comme au XIIIe siècle, ce droit est d'ailleurs destiné à devenir, le moment venu, un devoir collectif: les « purs » de notre passé avaient l'obligation de devenir comme asexués, la semence humaine étant, selon les cathares, la substance la plus polluante qui fût.
C'est pourquoi j'estime que nous risquons de nous égarer en ramenant le « mariage homo » à une question purement politique. Nous avons affaire à la traduction politique d'un dogme religieux. Si nous ne luttons pas d'abord contre la religion en question, nos victoires politiques éventuelles ne seront pas durables.
Elles le seront d'autant moins que la foi néo-cathare dont nous parlons est devenue très puissante dans notre pays. Nos mentalités en sont imprégnées. Le droit à l'avortement, par exemple, est massivement reconnu comme légitime; de même l'euthanasie; de même le mariage entre personnes du même sexe. Les proportions varient selon les cas, mais il apparaît que les adeptes de la nouvelle religion, même s'ils se recrutent principalement chez les « incroyants », même s'ils sont plus ou moins conscients de leur foi, même si leurs convictions sont instables, se comptent par millions. Ils acceptent tous, explicitement ou implicitement, sa « vérité » centrale.
Et puis cette foi néo-cathare est maintenant partagée par de hauts responsables politiques qui veillent à ce que la loi assure sa protection et sa diffusion. Ils sont nombreux chez les écologistes. Il paraît étonnant, à première vue, qu'un parti dont la doctrine tourne autour de la défense de la nature, en exclut le corps humain. L'étrange contradiction dans laquelle il s'enferme montre à quel point la nouvelle religion pèse sur son programme politique. Le député Noël Mamère l'a illustré en allant jusqu'à entrer dans l'illégalité pour mieux se faire le prophète du mariage homosexuel. Le néo-catharisme est aussi en train de subvertir l'extrême-gauche. Il y supplante peu à peu la vieille foi marxiste. J'en prends pour exemple le programme présidentiel du candidat Mélenchon en 2012. La brochure officielle qui l'exposait ne mettait en tête de la longue liste de ses promesses aucune des revendications traditionnelles de sa mouvance politique. La hausse des salaires, l'interdiction des licenciements, l'abaissement de l'âge de la retraite, étaient renvoyées en queue de son catalogue comme si lui-même n'y croyait plus guère. La première de ses promesses, sa mesure-phare, c'était « le droit absolu de disposer de soi ». Et, pour qu'il n'y eut pas d'équivoque sur sa pensée, il en précisait une application immédiate : « protéger le droit à l'avortement en l'inscrivant dans la Constitution ».
Gardons-nous de penser que, si puissante quelle soit déjà, la nouvelle religion est arrivée au terme de son développement. Certaines conséquences de son dogme central se sont découvertes trente ans après sa naissance, comme l'égalité de toutes les formes de sexualité. D'autres nous sont encore inconnues. Elles viennent une à une comme pour ne pas brusquer l'opinion publique. Le mariage homosexuel étant maintenant accepté, la PMA et la GPA commencent d'être débattues. On devine que, derrière ces deux manipulations du corps humain au profit d'un caprice de l'esprit, un nouvel article de foi cherche à s'imposer: puisque le corps humain est un simple outil, il est normal qu'il puisse être vendu et acheté selon sa valeur marchande. Quand il sera admis à son tour par une majorité de Français, d'autres bouleversements sont à attendre. Nous pouvons les pressentir en prenant au sérieux les propos, malheureusement oubliés, tenus devant les députés de la nation par le rapporteur de la loi Taubira : « Le jour s'approche, s'est-il écrié, où l'on en finira avec la filiation biologique pour en venir à la filiation volontaire. »
Ne croyons pas que les Français s'y opposeront durablement. Quand un principe est reconnu comme vrai par la société, ses conséquences pratiques entrent dans le champ de la nécessité. Il y a des évolutions qui s'imposent d'elles-mêmes. Elles balayent tôt ou tard les réticences, scrupules et hésitations. L'opinion publique était hostile à l'avortement en 1967. Sa résistance s'est effondrée cinq ans plus tard. L'ouverture du mariage aux personnes de même sexe paraissait scandaleuse en l'an 2000. Elle est maintenant acceptée. Il en ira de même dans quelques années pour la GPA et d'autres innovations impensables aujourd'hui.
Si je me suis efforcé de dégager les traits de la nouvelle religion, ce n'est évidemment pas pour l'admirer, ni pour annoncer sa victoire inéluctable. J'ai voulu que nous connaissions notre adversaire et que nous mesurions sa puissance. Il a l'habileté d'avancer masqué. Il se drape dans les droits de l'homme et se compose un air de compassion pour certaines victimes supposées de la société. Ne tombons pas dans ses pièges. Il n'est ni compatissant pour les plus faibles ni intéressé par le premier des droits de l'homme : le droit à la vie. Il veut en réalité refaire l'ordre politique et social selon ses dogmes. La première condition pour l'arrêter est de le louer de se battre à visage découvert.
Alternative: la théologie catholique du corps
Comment lutter ensuite contre la foi néo-cathare? Comment réduire sa puissance ? Le combat politique, à lui seul, ne peut y réussir. On ne fait reculer l'emprise d'une religion sur les esprits qu'en leur proposant une religion plus attrayante, avec une idée de l'homme plus véridique et des principes de vie plus solides.
En France, cette autre religion existe. Elle s'appelle l'Église catholique. Sa doctrine s'oppose radicalement au néo-catharisme. Ne proclame-t-elle pas que le corps humain a une dignité infinie puisqu'il est appelé à une plénitude éternelle ? Ne prescrit-elle pas de respecter sa vie autonome, de sa conception jusqu'à sa fin naturelle et notamment dans l'union sexuelle ? Ne défend-elle pas la famille biologique, cellule sociale irremplaçable? l'.t puis seule l'Église catholique dispose chez nous d'une autorité suffisante pour rallier autour d'elle tous les opposants à la nouvelle religion. Le judaïsme et l'islam, confinés à des minorités trop peu nombreuses ou trop mal organisées, la suivront volontiers. Et beaucoup d'hommes de bonne volonté, qui ne partagent pas sa foi dans la résurrection des corps mais ne supportent pas leur avilissement dans des parodies de mariage, sont prêts à soutenir ses actions. Les grandes manifestations de l'an dernier l'ont montré.
On m'objectera que l'Église de France a essuyé défaite sur défaite depuis 1967. Non seulement elle n'a pas été écoutée quand la contraception, puis l'avortement ont été mis en débat, mais encore son opposition a suscité des réactions virulentes et le départ de nombre de ses fidèles. r.llc en a été profondément affaiblie. Pourquoi accomplirait-elle demain ce qu'elle a été incapable de réussir hier ?
À cela je réponds que la situation a changé. Un court rappel historique le fera a comprendre.
En 1967, la hiérarchie catholique a été prise de court par la diffusion de la contraception chimique. Elle en comprenait mal les implications et, en Ions cas, n'avait aucune alternative à proposer aux couples qui utilisaient la pilule pour maîtriser leur fécondité. Lorsqu'en juillet 1968, le pape Paul VI déclara cette dernière « illicite », les évêques de France furent très embarrassés. Le pontife de Rome avait défini ce qu'il ne fallait pas faire. Il n'avait rien dit sur ce qu'il était licite de faire. La hiérarchie épiscopale de notre pays choisit donc le flou: elle recommanda aux fidèles de tenir • i impie « entre autres » de l'encyclique Humae vitae. Sa déclaration ne satisfit personne. Les laïcs influents, non moins désemparés, choisirent de suivre le plus écouté d'entre eux, le philosophe Maurice Clavel, récent converti qui n'hésita pas à contredire le pape en affirmant que la pilule était "un bien". La jeunesse l'écouta dans sa quasi-totalité.
Sept ans plus tard, la loi Veil surprit une Église mal remise de sa défaite et désorientée par les remous qui avaient suivi Vatican II. L'assemblée des évêques se rangea, à quelques exceptions près, derrière l'un de ses membres les plus en vue, l'évêque d'Orléans, qui prônait la neutralité et la discrétion afin que nul ne pût accuser le catholicisme de « manquer de compassion pour la souffrance des femmes ». Le même Clavel exulta: « Maintenant que la fameuse loi est votée, maintenant que je respire, je veux rappeler à ses adversaires catholiques que leurs pressions en vue de la répression (de l'avortement) fut intolérable... et tout blâme ecclésial, une imposture. » II ne voyait pas qu'il laissait le champ libre à une religion ennemie de la sienne.
Mais, après cette cuisante défaite, l'Église commença de se ressaisir. Jean-Paul II reprit le travail là où Paul VI l'avait laissé. Son grand mérite fut de fournir aux catholiques l'outil intellectuel dont ils avaient cruellement manqué depuis 1967. Il développa une « théologie du corps » solide et claire. « La sexualité humaine est bien plus élevée qu'on ne l'imagine » s'écria-t-il au cours d'une séance publique d'enseignement. Selon lui, l'union sexuelle est une préfiguration de l'union divine-humaine à venir, parce qu'elle est capable d'être une manifestation de l'amour le plus fort dans la liberté la plus grande. Loin d'être vouée à un plaisir éphémère, elle élève l'éros naturel jusqu'à la plénitude du don réciproque. Si les méthodes chimiques et mécaniques sont à proscrire, conclut-il, ce n'est pas à cause d'un interdit papal arbitraire mais parce qu'elles avilissent une union dans laquelle la dignité humaine ne supporte pas d'être bornée. Jean-Paul II fut entendu. De jeunes couples énergiques entreprirent de vivre selon son enseignement.
La science avait semblé jusque-là être l'alliée inconditionnelle du néo-catharisme. Mais, vers l'an 2000, elle commença d'apporter sa contribution au renouveau catholique. Les conjoints ont reçu d'elle des moyens pratiques qui leur permettent de maîtriser leur fécondité sans interférer avec les lois naturelles de leurs corps. Aujourd'hui il est devenu possible de respecter Humane vitae tout en gérant rationnellement l'acte de procréation. Et, différence déterminante, ces méthodes font appel à la décision solidaire du couple au lieu d'être, comme la pilule, un choix individuel.
Le même renouvellement intellectuel touche l'homosexualité. Ce que l'on a appelé le « scandale des prêtres pédophiles » a illustré jusqu'à l'odieux les insuffisances de la pensée catholique d'il y a seulement deux décennies. Le retard a commencé d'être comblé. Tout porte à croire qu'avec le pape François l'effort ira à son terme.
Armature intellectuelle en plein renouvellement, moyens scientifiques de plus en plus favorables, jeunesse prête à l'action : non, le catholicisme français d'aujourd'hui n'est plus celui d'il y a un demi-siècle. Il est capable de résister aux offensives néo-cathares et même de contre attaquer. Il vient de le prouver dans les grands chocs que le mariage homosexuel a provoqué (l'an dernier)
III - LA LOI TAUBIRA COMME FAIT POLITIQUE
Nous voici à jour sur la question religieuse qui est à l'arrière-plan de la loi Taubira. Nous pouvons maintenant examiner les aspects politiques de son abrogation.
Avant tout, gardons à l'esprit un principe fondamental : un gouvernement n'a pas la mission de promouvoir une foi ni d'imposer les mœurs qu'elle implique. Il sort de sa compétence s'il s'aventure dans ces deux domaines. Sa responsabilité consiste à veiller à ce que le libre exercice des religions ne compromette ni le bien commun des citoyens, dont un aspect essentiel est leur liberté de conscience, ni l'intérêt national. C'est ce qu'on appelle le principe de laïcité. Son application rigoureuse est la condition de la paix sociale.
Des faits récents ont montré à quel point l'État sait se montrer vigilant quand des musulmans menacent la laïcité. Il n'hésite pas à rappeler l'Église à l'ordre dès qu'elle semble empiéter sur son domaine de compétence. Mais quel est son comportement vis-à-vis de la religion néo-cathare ?
La réponse est claire: l'État, loin de lui manifester la même intransigeance, se laisse entraîner vers une collusion contraire au principe de laïcité.
Certes le néo-catharisme ne réussit pas d'emblée à domestiquer la puissance publique. Les gouvernements qui se sont succédé depuis un demi-siècle ont tous commencé par rejeter ses demandes. Ils sentaient confusément que leur domaine de compétence serait atteint. Mais le néo-catharisme a appris à enrober ses revendications les plus religieuses clans une extension toute profane des droits de l'homme ou la réparation d'une injustice sociale. Mal à l'aise, les gouvernements ont alors cherché des arrangements. Une loi a offert un peu de place à une croyance néo-' .il luire, sous prétexte d'élargir les libertés individuelles. On proclamait le compromis équilibré et définitif. En réalité, l'installation, même partielle, d'une croyance dans la loi, conduit à accepter des concessions de plus en plus grandes. Débordé, démoralisé, l'État finit par se soumettre sans restriction. La laïcité, exaltée en théorie, est bafouée en pratique.
l'avortement sans détresse
Pour illustrer ce que je viens de décrire, je prendrai l'exemple de l'avortement. En lui-même, il n'a rien de nouveau: il est de tous temps et de tous temps. Des législations convergentes l'avaient peu à peu contenu, sinon réduit, et il n'était plus un sujet de débat public. En 1973, le néo-catharisme naissant en fit une cause primordiale, parce qu'elle illuminait d'une belle lumière de compassion, un de ses dogmes principaux : « Mon corps m'appartient» Valéry Giscard d Estaing, juste élu président de a République, crut qu'il s'agissait d'élargir les droits des femmes. La demande lui sembla entrer dans son projet de « société libérale avancée ». Il chargea Simone Veil de préparer une loi. Le ministre présenta son texte quelques mois plus tard. Prudente, elle se contenta d'entrouvrir la porte de l'avortement à « des exceptions pour des cas d'extrême détresse ». Jusqu'à elle, le seul cas d'extrême détresse admis par la loi était un danger pour la vie de la mère. La tradition française aurait voulu que la nouvelle loi définît de façon détaillée quels autres cas devenaient autorisés, de façon que l'État demeurât, comme il était de son devoir, juge des conflits entre droits de la femme et droits de l'enfant à naître. Ce n'était pas le but des néo-cathares. Ils voulaient que fût reconnu « le droit absolu de disposer de soi ». Simone Veil céda en silence. Elle laissa la définition de l'extrême détresse à la discrétion des intéressées. Pour la première fois dans notre législation, la justice objective, réfléchie et immuable de l'État s'effaçait devant des verdicts privés, nécessairement subjectifs, émotionnels et changeants.
Mal à l'aise, le ministre tenta de réduire la portée de sa capitulation en dressant quelques barrières réglementaires qui ne laisseraient passer que les « cas exceptionnels » promis. « Si la loi admet la possibilité de l'interruption de grossesse, s'écria-t-elle, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. » Simone Veil s'illusionnait. Le néo-catharisme, ayant gagné la bataille sur le plan du principe, n'eut aucun mal à en imposer les conséquences pratiques. Les limitations légales posées en 1974 disparurent rapidement. Les « cas exceptionnels » devinrent agissements massifs.
C'est ainsi que la religion néo-cathare a dépouillé l'État d'une responsabilité qui appartient à son domaine de compétence, ce qui est une atteinte au principe de laïcité. Enhardie par sa victoire, elle a exigé plus : qu'il se mette à son service. Aujourd'hui l'avortement est devenu une politique d'État. Il est un « droit fondamental » que les discours officiels exaltent jusque dans les lycées ; les hôpitaux publics sont tenus de répondre aux demandes des intéressées en toutes circonstances; l'opération clinique est intégralement remboursée par la Sécurité sociale; et, afin d'interdire les protestations des croyants d'autres religions, « l'entrave à IVG » est sévèrement punie par les tribunaux. Il est difficile d'aller plus loin dans la collusion politico-religieuse.
Le mariage sans sexe
Le même mécanisme fait progresser sous nos yeux l'accouplement homosexuel. Il a remporté sa première victoire en 1999 avec la loi établissant le PACS. Lionel Jospin s'imaginait avoir trouvé un compromis prudent et définitif en inventant une forme d'union qui serait moins qu'un mariage mais plus qu'une liaison de fait. En réalité, il a cédé sur l'essentiel : pour la première fois, une loi admettait que, dans la vie conjugale, le sexe des conjoints n'avait pas d'importance. Le principe étant acquis, les néo-. .il Itares n'ont aucune difficulté à pousser ses conséquences toujours plus loin: aujourd'hui le mariage entre personnes du même sexe est devenu légal, demain ce sera la PMA et la GPA. Il n'est pas difficile de prédire que sa capitulation devant cette croyance néo-cathare le conduira à l'habituelle collusion politico-religieuse. Déjà on enseigne dans les lycées que "l'homosexualité, c'est bien"; les lois qui répriment « l'homophobie » sont de plus en plus sévères; et un jour, la PMA sera remboursée intégralement par la Sécurité sociale.
Au terme de ces glissements successifs, un bouleversement institutionnel, qui va bien au-delà de la question homosexuelle, se dessine: la "filiation volontaire". Un jour, l'État ne reconnaîtra plus la famille comme réalité objective et stable fondée sur l'union d'un homme et d'une femme; il en fera une institution asexuée que les désirs subjectifs et changeants de chacun, reconnus comme légitimes par la loi, rendront débile et précaire.
Lionel Jospin a protesté contre la légalisation du mariage homosexuel,
comme Simone Veil s'est indignée des changements apportées à la loi
qui porte son nom. Ni l'un ni l'autre ne sont conscients d'en être responsables. En acceptant qu'un principe religieux entre dans un article de loi, ils ont mis en marche un engrenage dont l'enchaînement irrésistible leur a échappé.
II est tout aussi illusoire de penser combattre une croyance néo-cathare par une autre. C'est sous-estimer leur cohérence. En 2010,Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, reçut un rapport inquiétant: les statistiques de ses services montraient que les adolescentes étaient de plus en plus nombreuses à avorter. On ne savait pourquoi. La réaction du ministre fut celle qu'on pouvait prévoir. Elle prescrivit une campagne de promotion des produits contraceptifs dans les collèges et les lycées. À sa grande surprise, plus de contraception ne mena pas à moins d'avortements. Elle eut l'effet contraire. Roselyne Bachelot n'avait pas lu Jean-Paul II: « II peut se faire que beaucoup de ceux qui recourent aux moyens contraceptifs le fassent dans l'intention d'éviter la tentation de L'avortement. Mais les valeurs présentes dans la mentalité contraceptive sont telles qu'elles rendent cette tentation plus forte. »
II en va de même pour la légalisation des agissements homosexuels.L'excellente Frigide Barjot s'illusionne en espérant supprimer la tentation du mariage entre personnes du même sexe par l'instauration d'un PaCS amélioré. Nicolas Sarkozy se trompe ou nous trompe en annonçant qu'il mettra un terme au problème par la création d'un « autre mariage » réservé aux homosexuels. Bruno Le Maire est naïf quand il affirme qu'il suffit de compléter la loi Taubira par une interdiction légale de la PMA et de la GPA.
De deux choses l'une, en effet. Ou bien, l'accouplement homosexuel est légitime. Des préjugés absurdes l'ont injustement vilipendé jusqu'à notre époque. Nous faisons bien d'y mettre fin. Alors toutes les conséquences que je viens d'énumérer sont inévitables parce que justifiées. Ou bien cette pratique est mauvaise. Je laisse la plume à Louis Massignon, qui savait de quoi il parlait: « L'attrait homosexuel, écrivait-il, n'est pas condamnable en lui-même. » II est même « une idée pure ». Mais « il s'avilit si des gestes charnels le précipitent ». Alors « l'échange apparent de consentements n'unit que deux intentions complémentaires de travestissement mental; l'angélisme, idéal des débuts, aboutit vite, après d'insatiables et stériles étreintes, à la conscience d'une possession... proposant à l'âme possédée une évasion hors de la matière, qui n'est qu'un leurre ». En lui accordant une reconnaissance légale, l'État couvre de son autorité une imposture. Il se fait complice d'un « crime qui crie vengeance vers le ciel ». Ces deux points de vue sont incompatibles. Ils ne se prêtent à aucun compromis, ni dans leurs principes ni dans leurs conséquences légales.
Arracher la racine du néo-catharisme
Si nous voulons empêcher définitivement le mariage homosexuel, c'est sa racine que nous devons arracher, c'est-à-dire le PACS. Nous pouvions le faire en 1999. C'est aujourd'hui au-dessus de nos forces. Même si son abolition doit rester notre objectif ultime, nous devons viser des résultats moins ambitieux.
Les grandes manifestations de 2013 ont eu le mérite de donner un coup d'arrêt au développement pratique du principe accepté par le gouvernement Jospin. Mais notre victoire n'est pas décisive. Nous avons gagné un répit, rien de plus. Comment l'utiliser? D'abord en ne relâchant pas notre pression. Il faut interrompre la progression du néo-catharisme aussi longtemps que possible. Ensuite en faisant en sorte que cette bataille de position ne nous détourne pas d'une contre-offensive sur un autre terrain : celui de la laïcité.
Aujourd'hui deux idées de l'homme et de ses droits se partagent la conscience française. L'une est défendue principalement par l'Église catholique; l'autre est portée par la religion néo-cathare. Le devoir de l'État est de ne pas prendre parti. Cette lutte n'est pas de sa compétence. Ou bien il reste neutre, autrement dit, il se tient hors du champ de bataille ; ou bien il se veut impartial, ce qui signifie que les avantages pratiques qu'il accorde à l'une doivent être équilibrés par des avantages similaires à l'autre. L'expérience quotidienne dans les lycées, les hôpitaux, la Sécurité sociale, les tribunaux, le parlement et le gouvernement montre à quel point la puissance de l'État soutient la seconde et repousse la première.
II faut exiger qu'il mette un terme à son insupportable partialité. Déjà quelques succès ouvrent la voie. Grâce aux mouvements de protestation, les ministres n'osent plus se faire les propagandistes du mariage homosexuel dans les écoles, à la manière de Najat Vallaud-Belkacem il y a (un an). La « théorie du genre » n'est pas devenue une matière obligatoire des programmes d'enseignement. La Cour d'Appel de Paris a désavoué une Initiative d'intimidation judiciaire contre les opposants à la loi Taubira. Mais l'équilibre est loin d'être rétabli.
Je me limite à un seul exemple des combats à mener. Il me paraît important parce qu'il touche la racine la plus ancienne et la plus forte du néo-catharisme: la contraception. Depuis trois décennies, les pouvoirs publics se sont fait les propagandistes des produits chimiques et mécaniques qui rendent les rapports sexuels inféconds. Ils encouragent leur utilisation avec tous les moyens de l'État. Or la science a mis au point d'autres méthodes de contrôle de la fécondité féminine, qui, elles, respectent les lois naturelles des corps. De plus ces « moniteurs » n'ont pas les dangereux effets des pilules de troisième et quatrième génération. Leur fiabilité est la même. Mais ils sont négligés par le gouvernement. Le silence les entoure. Ils ne sont pas proposés dans les brochures officielles. Ils ne donnent pas droit au remboursement intégral dont jouissent les produits contraceptifs. Leur donner les mêmes avantages ferait beaucoup plus qu'élargir un choix de techniques: ce serait rétablir l'égalité entre deux éthiques de l'union sexuelle. L'État reviendrait à son obligation de laïcité.
Notre contre-offensive politique doit s'étendre à un autre terrain, qui a été négligé jusqu'ici. Je veux parler des conséquences sociales et économiques de la loi Taubira. Prenons l'exemple d'un argument brandi ces derniers temps par Bruno Le Maire et Alain Juppé. « Cessons de mettre en avant le mariage homosexuel ! s écrient-ils. Il est une affaire de morale personnelle. Les problèmes économiques et sociaux, voilà l'important ! Si demain le vote des Français nous porte au pouvoir, nous ne nous laisserons pas entraîner vers une querelle dérisoire sur le plan de l'intérêt général. » Ils semblent croire que la loi Taubira pose seulement des questions d'éthique privée. Dans leur esprit, elle n'a pas de conséquences sociales. D'où tiennent-ils leur certitude? En savent-ils plus que Massignon qui, instruit par l'expérience, nous a averti que « l'uranisme est essentiellement dyssocial » ? Ou ont-ils succombé, par paresse intellectuelle, aux mélodies des sirènes du mariage homo ?
Des effets profondément antisociaux
Avec les néo-cathares, c'est toujours la même berceuse. Ils se présentent comme des militants des droits de l'homme. Ils chantent les charmes d'une société qui va immédiatement devenir plus libre, plus heureuse, plus paisible. Ils taisent ou nient les maux sociaux qui viendront à terme éloigné. En 1968, ils annonçaient que la pilule serait un bien absolu; elle allait faire éclore « des couples plus harmonieux » et « des familles plus épanouies ». La décennie suivante a été marquée par une explosion de divorces, la multiplication des unions libres, c'est-à-dire précaires, et l'accumulation de familles monoparentales. Nous n'en sommes pas sortis aujourd'hui. En 1974, ils présentaient l'avortement comme « une étape décisive dans l'émancipation des femmes » d'autant qu'il resterait un recours « exceptionnel ». Il est devenu une pratique massive qui, selon les statisticiens, atteint une femme sur trois et fait chanceler la vitalité de notre peuple, dont les générations peinent à se renouveler. Et puis les femmes qui se font avorter ressentent moins une émancipation qu'une brûlante aliénation. Les enquêtes montrent quelles sont le plus souvent abandonnées à une grande solitude sociale. Celles qui ne le sont pas, se laissent guider par un eugénisme fantasque et cruel.
La loi Taubira serait-elle une heureuse exception? Ses partisans nous affirment qu'elle consiste simplement, selon les termes de François Hollande, « à donner des droits à ceux qui n'en avaient pas sans en retirer à personne ». Les plus enthousiastes annoncent qu'elle va « donner au mariage une nouvelle vitalité ». Quant au sort des enfants élevés dans des familles homosexuelles, ils nous rassurent: l'expérience montre, disent-ils, qu'ils ne diffèrent en rien des enfants des « familles hétérosexuelles ». Certaines enquêtes prouveraient même qu'ils sont plus heureux et plus épanouis. C'est la raison pour laquelle François Bayrou, par exemple, a approuvé la légalisation des unions entre individus du même sexe.
Aucun fait vérifiable, aucune enquête sérieuse ne confirment ces affirmations. Un brouillard épais entoure les conséquences sociales du mariage homosexuel. L'une des rares études scientifiquement fondées (celle menée par le sociologue Mark Regnerus pour le compte de l'université du Texas) laisse entrevoir quelques réalités inquiétantes : les enfants dont nous parlons deviennent fréquemment de jeunes adultes profondément perturbés par l'homosexualité affichée de leur père ou de leur mère ;
ils ont eu tendance à fuir, dès l'adolescence, le foyer dit conjugal; souvent ils éprouvent le plus grand mal à trouver leur stabilité affective, ce qui 1es conduit notamment à un vagabondage sexuel sans limites; ils sont en proie à l'anxiété et à la dépression plus que les autres; et, comme il est logique, leurs difficultés mentales les conduisent de façon disproportionnée à la précarité sociale, au chômage et à l'assistance d'État. La cause unique de tous ces symptômes, c'est une profonde et durable crise d'identité personnelle. Une autre statistique troublante nous apprend qu'aux États-Unis encore, 6,4 % des adultes de moins de trente ans s'identifient comme « gay », lesbienne ou bisexuel. Ils ne sont que 3,2 % chez les personnes de 30 à 50 ans et 1,9 % chez les plus de 65 ans. Les néo-cathares s'en réjouissent: selon eux, ces chiffres signifient que les jeunes d'aujourd'hui assument mieux leur sexualité que ceux d'hier. C'est un éclatant progrès social. Mais bien des indices font penser que la progression du nombre des « LBGT » signifie surtout que les troubles d'identité personnelle se propagent dans la société au point de devenir une dangereuse "épidémie". Légaliser leurs unions peut difficilement passer pour un remède au mal.
Avons-nous besoin d'attendre que l'accumulation des observations hanche la question? Un examen rapide de l'histoire sociale du dernier demi-siècle nous apporte une information sûre : la « société des droits de l'homme » que le néo-catharisme a commencé de construire, est, dans sa réalité, une société de marginalisés, de précarisés, d'éliminés et, dans ses manifestations les plus récentes, de terroristes et de tueurs en série. Un dernière analyse, la loi Taubira n'étant rien d'autre qu'une nouvelle avancée des dogmes néo-cathares, il est probable qu'elle accentuera leurs conséquences asociales.
On peut même décrire les mécanismes susceptibles d'y conduire. La légalisation de la « famille homosexuelle » signifie que la « filiation volontaire » devient un principe reconnu à égalité avec la filiation généalogique. Le droit français s'ouvre à une croyance néo-cathare : notre identité c-st tout entière dans notre esprit. Elle est indépendante de notre corps. Les liens naturels avec notre père, notre mère, nos frères et nos sœurs n'ont aucune importance. L'identité d'un enfant se construit exclusivement dans des relations affectives avec les adultes, quels qu'ils soient, qui veulent bien le prendre en charge. Si cette croyance est vraie, la société n'a rien à redouter. Si elle est fausse, elle va susciter chez les personnes qui en sont victimes, de graves problèmes d'identité. Leurs conséquences sociales seront celles découvertes par le professeur Regnerus.
Chaque projet industriel est soumis à l'obligation d'une « étude d'impact » c'est-à-dire une analyse de ses répercussions proches et lointaines sur son environnement. Il me semble indispensable de demander aux parlementaires qu'ils votent une loi analogue pour les projets sociétaux.
Peut-être nos gouvernements nous imposeront-ils moins légèrement des principes qui, en changeant nos mœurs en un jour, bouleversent lentement mais durablement la vie sociale de notre pays et obligent l'État à de lourdes dépenses compensatrices.
Je me suis efforcé de montrer que l'abrogation de la loi Taubira ne peut être définitive sans que bien d'autres mesures législatives l'accompagnent. J'ai aussi essayé de montrer que sa disparition nécessitait des actions qui n'étaient pas seulement politiques. Ma conviction est qu'il y faudra l'effort continu et patient de toute une génération d'hommes et de femmes inébranlables dans leur détermination.
Avons-nous besoin d'attendre que l'accumulation des observations hanche la question? Un examen rapide de l'histoire sociale du dernier demi-siècle nous apporte une information sûre : la « société des droits de l'homme » que le néo-catharisme a commencé de construire, est, dans sa réalité, une société de marginalisés, de précarisés, d'éliminés et, dans ses manifestations les plus récentes, de terroristes et de tueurs en série. Un dernière analyse, la loi Taubira n'étant rien d'autre qu'une nouvelle avancée des dogmes néo-cathares, il est probable qu'elle accentuera leurs conséquences asociales.
On peut même décrire les mécanismes susceptibles d'y conduire. La légalisation de la « famille homosexuelle » signifie que la « filiation volontaire » devient un principe reconnu à égalité avec la filiation généalogique. Le droit français s'ouvre à une croyance néo-cathare : notre identité c-st tout entière dans notre esprit. Elle est indépendante de notre corps. Les liens naturels avec notre père, notre mère, nos frères et nos sœurs n'ont aucune importance. L'identité d'un enfant se construit exclusivement dans des relations affectives avec les adultes, quels qu'ils soient, qui veulent bien le prendre en charge. Si cette croyance est vraie, la société n'a rien à redouter. Si elle est fausse, elle va susciter chez les personnes qui en sont victimes, de graves problèmes d'identité. Leurs conséquences sociales seront celles découvertes par le professeur Regnerus.
Chaque projet industriel est soumis à l'obligation d'une « étude d'impact » c'est-à-dire une analyse de ses répercussions proches et lointaines sur son environnement. Il me semble indispensable de demander aux parlementaires qu'ils votent une loi analogue pour les projets sociétaux.
Peut-être nos gouvernements nous imposeront-ils moins légèrement des principes qui, en changeant nos mœurs en un jour, bouleversent lentement mais durablement la vie sociale de notre pays et obligent l'État à de lourdes dépenses compensatrices.
Je me suis efforcé de montrer que l'abrogation de la loi Taubira ne peut être définitive sans que bien d'autres mesures législatives l'accompagnent. J'ai aussi essayé de montrer que sa disparition nécessitait des actions qui n'étaient pas seulement politiques. Ma conviction est qu'il y faudra l'effort continu et patient de toute une génération d'hommes et de femmes inébranlables dans leur détermination.
Michel Pinton
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"L'abrogation de la loi: Acte fondateur du mouvement"
par Joël Hautebert - IF&R
L'abrogation signifie-t-elle revenir "en arrière" contester un mouvement historique ? L'idée d'irréversibilité de l'évolution causée par la loi du 17 mai 2013 contredit le discours positiviste justifiant cette même loi. Refuser l'abrogation consiste paradoxalement à "naturaliser" une institution à laquelle tout fondement naturel a été dénié, à moins d'accepter le principe d'un processus justifiant par avance un étiolement toujours croissant de l'institution familiale et de la filiation. C'est pourquoi, en vue de la protection du lien social à son fondement même, pour le présent et l'avenir, l'abrogation est la seule issue possible, le véritable mouvement fondé sur la volonté politique.
Aux yeux de certains, la légalisation du mariage entre personnes de même sexe serait définitive. L'obtention de cette nouvelle « liberté », progressivement étendue de par le monde, deviendrait ainsi un droit acquis, gravé dans le marbre, quasi érigé au rang de droit fondamental. Ce constat résulterait, paraît-il, de l'évolution sociale enregistrée par le législateur. On ne sait s'il faut ranger dans la catégorie des curiosités cette affirmation qui prétend rendre irréversible une décision du législateur qui a pourtant rendu caduc ce qui précédemment était indiscutable depuis toujours !
À ce titre, la loi du 17 mai 2013 ne revêt-elle pas elle-même, quant à ses effets, les caractéristiques de l'abrogation ? Certes, du strict point de vue de la technique juridique, la faculté accordée à deux personnes de même sexe d'accéder au mariage n'empêche pas un homme et une femme de se marier ensemble. Il n'y a pas substitution mais ajout, ce qui signifie qu'à proprement parler il n'y a pas d'abrogation. Il ne s'agit pas non plus d'une dérogation accordée à certains permettant d'éviter certains aspects classiques de l'institution du mariage, puisque toutes les formes de vie commune sont placées sur un même pied. Toutefois, ce simple constat ne rend pas compte de l'ampleur et de la radicalité du bouleversement du mariage, engagement fondateur de l'institution familiale, destinée à offrir le cadre adéquat à l'éducation des enfants issus du couple, ce que deux personnes de même sexe ne peuvent, par nature, assurer. À moins, bien sûr, d'admettre la vente et donc la marchandisation des enfants ainsi que la faculté de priver volontairement un enfant de sa mère ou de son père dès la naissance.
Le caractère naturel du mariage, union d'un homme et d'une femme, a été purement et simplement nié, au nom d'une logique positiviste, traduction juridique de l'idée selon laquelle les valeurs et les institutions d'une société sont de pures constructions sociales, sujettes au changement résultant du bon vouloir supposé de la société. Selon cette logique de pensée, c'est la société elle-même qui qualifie, à tort, de « naturelles » (et donc naturalise) les institutions qui lui paraissent indispensables au bien commun, conformes à l'anthropologie humaine et par conséquent universelles. Mais tout cela paraît-il, n'est que de la poudre aux yeux, une simple construction théorique destinée à fixer des règles juridiques ou des institutions jugées imperméables à toute évolution ! Dès lors, le mariage, volontairement dénaturalisé, perd définitivement tout caractère permanent, ce qui ouvre inéluctablement la voie à bien d'autres évolutions. Mais si l'on suit la même logique positiviste, la perspective de l'abrogation du mariage entre personnes du même sexe est tout aussi envisageable, en tout cas juridiquement parfaitement légitime. C'est bien connu, ce que le législateur a fait, le législateur peut le défaire, surtout si l'on considère que sa décision n'est soutenue par aucun principe intangible. L'utilisation de techniques juridiques en vue de verrouiller l'évolution institutionnelle de 2013 heurte de plein fouet l'idée selon laquelle toute institution est sujette à changement. En effet, s'il n'y a pas de nature, il n'y a pas de permanence, pas de stabilité possible, puisque le droit est censé suivre les évolutions sociales qu'aucune considération morale, philosophique ou anthropologique ne peut encadrer.
En réalité, l'affirmation de l'impossibilité de modifier ou d'abroger la nouvelle conception du mariage consiste à figer ce que le législateur a créé, parvenant ainsi au paradoxe singulier d'un bouleversement institutionnel, fondé sur la volonté (supposée) du peuple, qui au bout de quelques petites années ne pourrait être remis en question. L'argument du temps écoulé a d'ailleurs de quoi surprendre. Deux ou trois années écoulées feraient entrer définitivement dans les mœurs une évolution institutionnelle très discutée, c'est un euphémisme, tandis que les millénaires de pratiques contraires n'auraient aucune valeur probante...
Nous assistons en fait à une forme de naturalisation de la dénaturalisation de l'institution du mariage, puisque les caractéristiques du droit naturel sont attribuées à la loi positive porteuse du « changement de civilisation ». En effet, une loi positive clairement promulguée en violation du droit naturel acquerrait alors une dimension irréversible, ce qui aurait pour effet de lui rendre applicable ce qu'écrivait Cicéron dans le De Legibus au sujet d'une loi positive conforme au droit naturel, fondé sur la droite raison : « Cette loi, dont je vous ai expliqué la force, ne peut s'abolir ni s'abroger »'. Ainsi, tout en niant le droit naturel, les caractéristiques de ce dernier sont reprises pour justifier l'impossibilité (ou la simple difficulté) d'abroger, au risque de renier la pure logique positiviste elle-même.
Cependant, la volonté de fixer le profond bouleversement juridique de mai 2013 vise un objectif précis : empêcher l'abrogation dudit « mariage pour tous », sans interdire tout changement juridique futur. À l'évidence, une perspective idéologique progressiste, que l'on voit à l'œuvre dans d'autres domaines comme celui de l'identité sexuelle, est ici à l'œuvre. Il s'agit d'un mécanisme déstructurant sans aboutissement définitif, autorisant les mutations à venir dans un sens prédéterminé, puisque si toute abrogation au nom d'un droit naturel conforme aux réalités anthropologiques est considérée comme un « retour en arrière » incompatible avec la marche vers le progrès et l'égalité, toute mutation dans le sens inverse est en revanche possible. Il faut donc en conclure que nécessairement, inévitablement, pour ne pas risquer l'accusation de renaturalisation institutionnelle, il est indispensable d'admettre par principe d'autres étapes, d'autres « marches en avant » dans une nouvelle civilisation qui n'est que mouvement permanent, même si l'on prend soin d'écarter momentanément l'hypothèse des évolutions à venir, pourtant probables et connues, parce que « les mentalités ne sont pas prêtes ». Il suffit donc de laisser les ultras-minorités agir afin que l'on puisse affirmer un jour que tel est le vœu de la population, quitte à forcer un peu le mouvement, comme ce fut le cas en 2013, malgré une opposition d'une exceptionnelle envergure « consistante » au projet de loi.
L'impact idéologique du progressisme dans les esprits a pour effet d'affadir la volonté réformatrice d'un certain nombre de politiques qui préfèrent s'engager dans la voie confortable de solutions de compromis. Par pusillanimité, la tentation est forte de se contenter d'interdire la GPA sans revenir sur la question du mariage. Une telle demi-mesure donne l'impression de faire preuve de courage, alors qu'elle ne fait que combattre les effets sans cependant déraciner le mal. À moyen terme, le résultat est connu d'avance. À l'évidence, cette option ne fera que repousser au lendemain une évolution inhérente à la loi antérieure à laquelle on ne veut pas toucher de peur d'être taxé de « réactionnaire » en prônant une « restauration ». Si l'on ne revient pas sur le « mariage pour tous », on ne voit pas, sur le terrain des principes juridiques, ce qui pourrait empêcher demain la reconnaissance de mariages à trois ou plus et l'abandon des fondements naturels de la filiation. C'est une simple question de temps.
Lorsque des questions dites « sociétales » sont en jeu, les progrès notables reposent sur le courage des politiques, avons-nous entendu dire avant le vote de la loi. Pourquoi ce courage ferait-il défaut dans l'autre camp ? Aujourd'hui, l'abrogation par une nouvelle loi demeure le seul moyen juridique possible pour stopper un processus déstructurant qui n'est en aucun cas un progrès. Il y a progrès lorsque la législation est ordonnée au bien de la communauté politique. Ce rapport entre la loi et l'ordre s'entend de deux manières différentes, parfois opposées ; la loi reflet de l'ordre ou la loi moyen de l'ordre. La loi reflet consiste à déterminer dans le droit positif une réalité naturelle ou universelle qui ne dépend pas des volontés humaines, tandis que la loi moyen de l'ordre suppose que l'ordre est à créer. Ces deux acceptions peuvent en réalité fort bien se combiner, ce qu'attesté la perspective de l'abrogation. Il ne s'agit pas de créer un homme nouveau puisque l'homme n'est pas à créer. La nature humaine ne relève pas de la compétence du législateur. Il s'agit en revanche de créer un ordre juridique protégeant une institution fondamentale de la société. C'est pourquoi, dans le contexte contemporain marqué par l'affaiblissement du vivre ensemble, l'abrogation est un acte fondateur d'une grande portée politique car elle protège le fondement de la famille, lieu premier et irremplaçable de l'apprentissage du lien social. D'autre part, au vu du désordre régnant aujourd'hui dans le droit de la famille, qui ne fera d'ailleurs que s'accentuer, l'abrogation aura encore un rôle fondateur, dans la mesure où elle mettra un terme au mouvement engagé vers la réifkation des enfants, aboutissement logique et inévitable de l'actuelle législation sur le « mariage ». D'une certaine manière, le sens et l'autorité de la loi sont également ici en jeu. Quelles sont les limites de l'action du législateur ? Quelle stabilité, quelle sécurité peuvent offrir des institutions engagées dans des mutations juridiques sans fin ?
Enfin, l'abrogation de la loi dite du « mariage pour tous » n'est pas un retour en arrière puisqu'il s'agit de reconnaître ce qui est permanent. Il n'y a nul attachement au passé car ce qui est permanent concerne l'avenir, afin d'offrir aux générations à venir un cadre familial stable et adapté au bon développement de la personne.
Joël Hautebert
Résumé
Le Conseil constitutionnel a bien énoncé, dans sa décision du 17 mai 2013 concernant la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, que les règles relatives au mariage ne relevaient pas de la Constitution mais de simples « questions de société ». Ce qu'un législateur a fait, un autre législateur peut donc le défaire. Il s'agira évidemment d'être attentif aux droits acquis et de veiller à ce que les droits constitutionnels soient préservés. Mais le « mariage homosexuel » ne prend pas source et sa légitimité juridique dans la Constitution.
Le débat constitutionnel résultant de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ne fait que commencer. On aurait tort de croire que ce débat, nourri à l'occasion du débat, de l'adoption de la loi ouvrant le mariage aux « couples homosexuels » et de son contrôle par le Conseil constitutionnel par une décision rendue le 17 mai 20131, a été clos par cette décision du Conseil.
Les apparences sont parfois trompeuses. Certes, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi du 17 mai 2013 conforme à la Constitution, en rassortissent cependant d'une réserve d'interprétation concernant l'intérêt de l'enfant dans les processus d'adoption. D'un certain point de vue, le débat est clos et le « mariage homosexuel » ne contredit pas la Constitution. Mais justement, d'un autre point de vue, à plus long terme, la question du mariage entre personnes de même sexe a pris une direction constitutionnelle parce que la solution d'une reconnaissance du mariage en tant que la seule union d'un homme et d'une femme risque d'obliger le Gouvernement qui souhaitera revenir sur la loi du 17 mai 2013 à une révision constitutionnelle afin de stabiliser les principes du mariage, compte tenu, non de la seule loi de 2013 mais surtout d'une jurisprudence administrative et surtout judiciaire qui tire déjà les conséquences de cette loi en termes de filiation, d'adoption, de PMA et de GPA.
N'anticipons pas sur un débat à venir qui mobilisera les juristes autant que les politiques.
Il est nécessaire de procéder à nouveau à une analyse de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 pour en comprendre les conséquences sur le plan constitutionnel. On le fera en trois temps : d'abord montrer quelle est la logique du contrôle de constitutionnalité, tel qu'il s'est exercé dans cette décision ; ensuite analyser l'argumentation du Conseil constitutionnel pour en tirer les conclusions utiles sur ce qui pourrait être fait pour revenir sur la reconnaissance du « mariage homosexuel » par la loi du 17 mai 2013.
La logique du contrôle de constitutionnalité
La logique du contrôle de constitutionnalité est assez simple, dans ses principes. Le Conseil constitutionnel, juge constitutionnel contrôlant en l'espèce la loi avant sa promulgation2, a deux solutions majeures : soit déclarer la loi conforme à la Constitution, soit la déclarer contraire à celle-ci. Certes, cette solution binaire comporte des variantes : déclarer la loi conforme partiellement à la Constitution, ce qui revient à dire qu'elle est partiellement inconstitutionnelle, soit assortir cette déclaration de conformité de réserves d'interprétation qui conditionnent cette constitutionnalité et s'adressent aux autorités d'exécution de la loi, administrations et juges3.
En l'espèce, la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est une décision de conformité, assortie, on l'a dit, d'une courte réserve d'interprétation concernant la nécessité de veiller à l'intérêt de l'enfant dans les procédures d'agrément en vue d'une adoption.
La signification générale de la décision du Conseil constitutionnel est donc que le mariage entre couples de personnes de même sexe est conforme à la Constitution. La signification précise de la décision est expliquée par le Conseil constitutionnel lui-même, dans le « commentaire » explicatif qu'il délivre en même temps que sa décision, selon une curieuse habitude, mais qui est très illustrative du raisonnement suivi par le Conseil, là où la sécheresse de la rédaction juridictionnelle ne livre pas toutes les clés de la décision.
Dans sa décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel considère que la législation sur le mariage relève de la seule compétence du législateur, et qu'il revient donc au seul législateur de définir ce qu'est le mariage ainsi que les conditions permettant d'accéder à l'institution du mariage, qu'il s'agisse de couples hétérosexuels ou homosexuels. Il le dit avec clarté : « en ouvrant aux couples de personnes de même sexe l'accès à l'institution du mariage, le législateur a estimé que la différence entre les couples formés d'un homme et d'une femme et les couples de personnes de même sexe ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à la protection juridique attachés mariage ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en matière de mariage, de cette différence de situation » (§ 22).
Cette logique de raisonnement est bien expliquée par le Conseil constitutionnel. Derrière l'argument de la différence intrinsèque de situation entre les couples hétérosexuels et homosexuels, justifiant, selon les requérants, une différence de traitement, le Conseil a vu une atteinte à la « légitimité du législateur pour décider d'ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe » (commentaire, p. 18). Et le Conseil de développer ainsi son raisonnement et sa justification d'une compétence exclusive du législateur pour légiférer en ce domaine, dans son « commentaire » :
« Or, le Conseil avait implicitement mais nécessairement admis une telle légitimité dans sa décision précitée du 28 janvier 2011 sur les dispositions interdisant le mariage entre personnes de même sexe. Le Conseil a jugé, s'agissant du principe d'égalité : "qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté"4.
De façon plus générale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante pour souligner la compétence du Parlement sur ces sujets de société. Il en est allé successivement ainsi pour l'interruption volontaire de grossesse (n° 74-54 DC du 15 janvier 7975J5, pour la sélection des embryons (n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994)6, pour les greffes autogéniques (n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012)7, pour l'adoption par des couples homosexuels (n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010)* ou pour le mariage homosexuel (n°2010-92 QPC du 28 janvier 2011)9. Le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de cette dernière décision notait : "Le Conseil a donc jugé, en octobre 2010, qu'il en va de L'homoparentalité" comme il en allait, en janvier 1975, de l'interruption volontaire de grossesse ou, en juillet 1994, de la sélection des embryons : cette question constitue l'archétype de la question de société dont la réponse, en France, appartient au législateur." En janvier 2011, s'agissant de la demande des couples de personnes de même sexe d'accéder au statut du mariage, le Conseil constitutionnel avait confirmé sa jurisprudence respectueuse de la compétence du législateur »'°.
Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, la question de l'ouverture de l'institution du mariage pour des « couples homosexuels » est une « question de société » relevant de la libre appréciation du législateur et qui ne pose pas de problème sur le plan de sa constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel utilise là une formule habituelle dans sa jurisprudence qui exprime le self-restraint du contrôle de constitutionnalité, sa limite, qui est de ne pas se transformer en législateur mais d'assurer un contrôle de la constitutionnalité de la loi qui respecte la volonté légitime du législateur. Cette formule est bien connue, souvent utilisée par le Conseil et résume en quelque sorte à elle seule l'exercice et les limites du contrôle de constitutionnalité:
« // est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen » (§ 14 de la décision du 17 mai 2013).
La conclusion juridique est alors claire : s'il n'y a pas de règle constitutionnelle imposant que le mariage soit réservé aux couples composés d'un homme et d'une femme, simple « question de société », ce qu'un législateur a fait en votant la loi du 17 mai 2013, un autre législateur peut le défaire sans qu'une règle constitutionnelle interdise cette modification.
Comme on va le voir, derrière cette simple vérité juridique, se cachent certaines difficultés qu'il ne faut pas éluder.
L'argumentation du Conseil constitutionnel
L'argumentation développée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013 ne sera pas ici reprise et commentée dans son intégralité. Nous intéressent seulement les éléments qui conduisent à la conclusion que la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe n'est pas irréversible11.
L'absence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel le mariage serait réservé aux couples homme-femme
Les parlementaires saisissants du Conseil constitutionnel ont longuement développé dans leurs saisines la nécessité pour le Conseil de constater l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) selon lequel le mariage est réservé aux couples homme-femme, c'est-à-dire plus fondamentalement la règle d'altérité sexuelle dans le mariage.
Le Conseil constitutionnel rappelle d'abord les critères selon lesquels un principe fondamental reconnu par les lois de la République peut être reconnu :
- ce principe doit avoir un caractère clairement « fondamental », c'est-à-dire constituer une
« règle suffisamment importante », comportant un degré de généralité marqué, intéressant
des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux,
la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics ;
- tirer son origine d'une ou plusieurs lois votées sous un régime républicain et antérieures à
1946, date du préambule où est énoncé cette notion de « principe fondamental reconnu par
les lois de la République » ;
-ce principe ne doit jamais avoir connu de dérogation ou de législation contraire, ceci pour souligner la continuité législative que doit révéler ce principe ;
- enfin, seul le Conseil constitutionnel est compétent pour énoncer ce type de principe et
lui donner valeur constitutionnelle12.
Dans la décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel n'accepte pas de reconnaître un principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la continuité législative qui reconnaît le mariage comme la seule union d'un homme et d'une femme. Il est vrai que cette évidence anthropologique n'est pas énoncée aussi nettement dans le Code civil, tout simplement parce que les évidences n'avaient pas besoin de l'être pour être reconnues.
En tout état de cause, le Conseil énonce, dans cette décision du 17 mai 2013 que « la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme, cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l'organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 ; qu'en outre, doit en tout état de cause être écarté le grief tiré de ce que le mariage serait "naturellement" l'union d'un homme et d'une femme» (§21 de la décision).
La justification donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision est à la fois la reprise de l'argumentation du Gouvernement, selon laquelle « l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe relève d'une question de société alors que les PFRLR dégagés par le Conseil ne sont pas de cette nature. Selon cette conception matérielle des PFRLR, le Conseil ne pourrait reconnaître de tels principes que dans le domaine des libertés fondamentales ou de l'organisation de la République »13, et la reprise d'un argument des partisans du mariage homosexuel, selon lequel « ouvrir aux homosexuels la possibilité de se marier ne restreint pas la possibilité des hétérosexuels de se marier. Il n'y a pas là d'atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale ; il y a extension à de nouvelles personnes de la possibilité d'accéder à un régime légal». Et le Conseil constitutionnel d'ajouter :« en outre, jamais le Conseil constitutionnel n'a dégagé de PFRLR sur des questions de société »14.
On relève d'abord de cette démonstration le constat que la question du mariage, de sa définition, de ses caractéristiques, des conditions d'aptitude pour se marier ne relève pas des droits fondamentaux, ce qui vient confirmer la seule compétence du législateur pour la réglementer, même si ce législateur a été parfaitement constant sur ces caractères et en particulier la condition d'altérité sexuelle, jusqu'à la loi du 17 mai 2013.
On constate ensuite que l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne retire aucun droit au mariage aux personnes hétérosexuelles, selon le Conseil constitutionnel, et que les questions dites « de société » n'ont jamais donné lieu à énoncé d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Ce double constat devrait nous rassurer : on ne retire aucun droit à quiconque, on élargit seulement l'accès à ce droit et les questions « sociétales » les plus disputées n'entrent pas dans le champ de la constitutionnalité. C'est justement ce constat qui est inquiétant dans la mesure où on constate que le Conseil constitutionnel n'a pas mesuré la perte de sens que le mariage subit en l'ouvrant à tout type d'union, sans considération de l'altérité sexuelle.
Mais ce thème n'est pas celui du Conseil constitutionnel, tout simplement parce que ce sujet fondamental ne relève pas de la Constitution. La garantie des droits fondamentaux constitutionnels ne couvre pas les éléments essentiels du mariage, alors même que le Conseil constitutionnel a pourtant reconnu la liberté du mariage comme une composante de la liberté personnelle et lui a conféré nettement une valeur constitutionnelle15.
L'importance du principe d'égalité devant la loi
II faut garder à l'esprit que la revendication du mariage pour les homosexuels est d'abord une revendication d'égalité. Le Conseil constitutionnel le constate lui-même dans son « commentaire » : « la réforme vise, au nom du principe d'égalité, à permettre aux couples homosexuels de se marier et de bénéficier ainsi du régime juridique lié au mariage »16. Et il ajoute, dans la ligne de sa jurisprudence antérieure que le mariage permet ainsi aux « couples » de même sexe de bénéficier du régime juridique du mariage qui assure ainsi la protection de la famille, c'est-à-dire les obligations personnelles et patrimoniales attachées au statut matrimonial, celles assurant la protection du conjoint survivant ainsi que la protection de chacun en cas de divorce17.
Cette modification législative est bien celle d'un alignement du statut conjugal et matrimonial des couples hétéros et homosexuels. En modifiant les conditions d'accès au statut conjugal et en l'ouvrant aux « couples » homosexuels, le législateur a rendu ainsi caduque la jurisprudence précédente du Conseil constitutionnel sur l'accès au mariage pour les homosexuels qui déclarait dans une décision du 28 janvier 201118, à propos de l'argument d'atteinte au principe d'égalité, défendue par la requérante : « l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" ; le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit; en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille; il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ».
Et cette revendication de traitement égalitaire concerne également l'adoption. Avant le vote de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel avait bien souligné, à propos de la revendication de la possibilité d'adoption par un « couple » homosexuel que « en maintenant le principe selon lequel la faculté d'une adoption au sein du couple est réservée aux conjoints, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas pouvait justifier, dans l'intérêt de l'enfant, une différence de traitement quant à l'établissement de la filiation adoptive à l'égard des enfants mineurs ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu'il convient de tirer, en l'espèce, de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes de même sexe ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté »19.
De cet ensemble, on comprend que l'une des clés de cette évolution du mariage légal reste la compétence du législateur pour en décider. Il y a là une certitude que l'on tire nettement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La question demeure maintenant de savoir comment revenir sur la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et quelles seraient les conditions de constitutionnalité d'une loi revenant sur celle de 2013.
Problématique future : comment revenir sur la loi du 17 mai 2013
en conformité avec la Constitution ?
La réponse paraît simple : puisque le Conseil constitutionnel a reconnu qu'aucune norme constitutionnelle n'interdisait d'ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, une loi nouvelle devrait pouvoir revenir sur la loi du 17 mai 2013 et réserver le mariage aux seuls couples constitués d'un homme et d'une femme. Autrement dit, la réversibilité serait simple et sans difficulté constitutionnelle. On ne s'intéresse ici qu'aux arguments de fond, la question des procédés législatifs et constitutionnels étant traitée dans d'autres chapitres de cet ouvrage.
Précisons tout de suite, comme cela a été toujours dit, qu'il s'agira d'une abrogation, qui conservera les droits acquis des personnes mariées sous le régime de la loi du 17 mai 2013. Insistons sur ce point : il ne peut y avoir ni « démariage », ni « désadoption ». Les droits acquis par le régime législatif de cette loi ne peuvent être remis en cause.
Ajoutons ensuite qu'il n'existe pas d'« effet-cliquet » qui viendrait interdire de revenir sur la loi du 17 mai 2013. Puisqu'il n'existe pas d'exigence constitutionnelle qui interdirait de revenir sur cette loi, cet « effet-cliquet » ne peut interdire cette abrogation. Pour certains défenseurs de cette loi, il existerait une impossibilité de revenir à l'état du droit antérieur parce qu'un « effet-cliquet » empêcherait de supprimer un « droit nouveau » qui est celui pour les homosexuels de contracter mariage. Or, le Conseil constitutionnel lui-même n'a jamais employé ni utilisé ce concept de « l'effet-cliquet ». Il a seulement considéré que des exigences constitutionnelles peuvent encadrer le législateur afin qu'il conserve les garanties inscrites dans la Constitution.
Alors, pas de difficulté constitutionnelle ? Ne soyons pas aveugles ou trop optimistes. Les difficultés constitutionnelles peuvent venir, nous semble-t-il, de trois arguments.
Le premier argument est celui, évidemment, du principe d'égalité. Inscrit à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune » - le principe d'égalité est un puissant vecteur de la société française et du droit. Mais le Conseil constitutionnel, comme avant lui le Conseil d'État, a toujours considéré que les différences de situation peuvent entraîner un traitement différent, en lien avec l'objet de la loi. Il faudra donc argumenter sur cette différence de situation objective, entre les « couples homosexuels » et les autres, particulièrement en termes de formation d'une famille et des enfants issus de cette union des parents. C'est certainement sur ce point que l'argumentation devra insister.
Le deuxième argument porte sur la liberté du mariage. C'est, en ce qui concerne directement le mariage, le seul élément directement relié au bloc de constitutionnalité. On l'a vu précédemment, le Conseil constitutionnel admet que la liberté du mariage est une liberté de valeur constitutionnelle20.
Mais le raisonnement du Conseil constitutionnel, développé dans sa décision du 28 janvier 2011, mérite d'être reproduit intégralement :
Le troisième argument peut être tiré de cette jurisprudence. On l'aura compris, si la liberté du mariage est bien de valeur constitutionnelle, il revient au législateur d'en fixer les conditions dès qu'il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Certes, la liberté du mariage est bien une composante de la liberté personnelle, qui est fortement protégée du point de vue constitutionnel21.
Parmi ces exigences constitutionnelles, on peut identifier le droit à mener une vie familiale normale, reconnu depuis 1993 par le Conseil constitutionnel, auquel on peut ajouter la « protection de la famille » tiré du préambule de la Constitution de 1946, inséré dans le bloc de constitutionnalité. Il faudra être particulièrement attentif à ces deux principes de valeur constitutionnelle, qui peuvent inclure l'existence d'obligations personnelles et patrimoniales, la question de la protection du conjoint survivant, ou encore la protection des intérêts de chaque conjoint en cas de divorce. Mais le Conseil constitutionnel précise bien dans cette décision de 2011 précitée que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ».
La question qui se posera, en présence d'une loi nouvelle abrogeant la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, est de savoir si le Conseil constitutionnel considérera que cette loi nouvelle a une incidence sur les principes constitutionnels concernés, pour les remettre en cause. En toute hypothèse, cela ne devrait pas être le cas dans la mesure où une loi ordinaire ne peut modifier les normes constitutionnelles de référence qui servent justement au contrôle de ces lois. Ce serait renverser le principe de hiérarchie des normes juridiques, sous prétexte d'une évolution « sociétale », ce qui reviendrait à constitutionnaliser « l'effet-cliquet », pour une loi de circonstances dont la maîtrise revient au législateur. Là est l'un des enjeux majeurs d'une décision qui reviendra aux politiques, à leur courage, à leurs convictions et à notre capacité de conviction.
"Le « Mariage homosexuel » ne résulte d'aucune exigence constitutionnelle"
par Guillaume Drago - IF&R
Résumé
Le Conseil constitutionnel a bien énoncé, dans sa décision du 17 mai 2013 concernant la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, que les règles relatives au mariage ne relevaient pas de la Constitution mais de simples « questions de société ». Ce qu'un législateur a fait, un autre législateur peut donc le défaire. Il s'agira évidemment d'être attentif aux droits acquis et de veiller à ce que les droits constitutionnels soient préservés. Mais le « mariage homosexuel » ne prend pas source et sa légitimité juridique dans la Constitution.
Le débat constitutionnel résultant de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ne fait que commencer. On aurait tort de croire que ce débat, nourri à l'occasion du débat, de l'adoption de la loi ouvrant le mariage aux « couples homosexuels » et de son contrôle par le Conseil constitutionnel par une décision rendue le 17 mai 20131, a été clos par cette décision du Conseil.
Les apparences sont parfois trompeuses. Certes, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi du 17 mai 2013 conforme à la Constitution, en rassortissent cependant d'une réserve d'interprétation concernant l'intérêt de l'enfant dans les processus d'adoption. D'un certain point de vue, le débat est clos et le « mariage homosexuel » ne contredit pas la Constitution. Mais justement, d'un autre point de vue, à plus long terme, la question du mariage entre personnes de même sexe a pris une direction constitutionnelle parce que la solution d'une reconnaissance du mariage en tant que la seule union d'un homme et d'une femme risque d'obliger le Gouvernement qui souhaitera revenir sur la loi du 17 mai 2013 à une révision constitutionnelle afin de stabiliser les principes du mariage, compte tenu, non de la seule loi de 2013 mais surtout d'une jurisprudence administrative et surtout judiciaire qui tire déjà les conséquences de cette loi en termes de filiation, d'adoption, de PMA et de GPA.
N'anticipons pas sur un débat à venir qui mobilisera les juristes autant que les politiques.
Il est nécessaire de procéder à nouveau à une analyse de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 pour en comprendre les conséquences sur le plan constitutionnel. On le fera en trois temps : d'abord montrer quelle est la logique du contrôle de constitutionnalité, tel qu'il s'est exercé dans cette décision ; ensuite analyser l'argumentation du Conseil constitutionnel pour en tirer les conclusions utiles sur ce qui pourrait être fait pour revenir sur la reconnaissance du « mariage homosexuel » par la loi du 17 mai 2013.
La logique du contrôle de constitutionnalité
La logique du contrôle de constitutionnalité est assez simple, dans ses principes. Le Conseil constitutionnel, juge constitutionnel contrôlant en l'espèce la loi avant sa promulgation2, a deux solutions majeures : soit déclarer la loi conforme à la Constitution, soit la déclarer contraire à celle-ci. Certes, cette solution binaire comporte des variantes : déclarer la loi conforme partiellement à la Constitution, ce qui revient à dire qu'elle est partiellement inconstitutionnelle, soit assortir cette déclaration de conformité de réserves d'interprétation qui conditionnent cette constitutionnalité et s'adressent aux autorités d'exécution de la loi, administrations et juges3.
En l'espèce, la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est une décision de conformité, assortie, on l'a dit, d'une courte réserve d'interprétation concernant la nécessité de veiller à l'intérêt de l'enfant dans les procédures d'agrément en vue d'une adoption.
La signification générale de la décision du Conseil constitutionnel est donc que le mariage entre couples de personnes de même sexe est conforme à la Constitution. La signification précise de la décision est expliquée par le Conseil constitutionnel lui-même, dans le « commentaire » explicatif qu'il délivre en même temps que sa décision, selon une curieuse habitude, mais qui est très illustrative du raisonnement suivi par le Conseil, là où la sécheresse de la rédaction juridictionnelle ne livre pas toutes les clés de la décision.
Dans sa décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel considère que la législation sur le mariage relève de la seule compétence du législateur, et qu'il revient donc au seul législateur de définir ce qu'est le mariage ainsi que les conditions permettant d'accéder à l'institution du mariage, qu'il s'agisse de couples hétérosexuels ou homosexuels. Il le dit avec clarté : « en ouvrant aux couples de personnes de même sexe l'accès à l'institution du mariage, le législateur a estimé que la différence entre les couples formés d'un homme et d'une femme et les couples de personnes de même sexe ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à la protection juridique attachés mariage ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en matière de mariage, de cette différence de situation » (§ 22).
Cette logique de raisonnement est bien expliquée par le Conseil constitutionnel. Derrière l'argument de la différence intrinsèque de situation entre les couples hétérosexuels et homosexuels, justifiant, selon les requérants, une différence de traitement, le Conseil a vu une atteinte à la « légitimité du législateur pour décider d'ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe » (commentaire, p. 18). Et le Conseil de développer ainsi son raisonnement et sa justification d'une compétence exclusive du législateur pour légiférer en ce domaine, dans son « commentaire » :
« Or, le Conseil avait implicitement mais nécessairement admis une telle légitimité dans sa décision précitée du 28 janvier 2011 sur les dispositions interdisant le mariage entre personnes de même sexe. Le Conseil a jugé, s'agissant du principe d'égalité : "qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté"4.
De façon plus générale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante pour souligner la compétence du Parlement sur ces sujets de société. Il en est allé successivement ainsi pour l'interruption volontaire de grossesse (n° 74-54 DC du 15 janvier 7975J5, pour la sélection des embryons (n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994)6, pour les greffes autogéniques (n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012)7, pour l'adoption par des couples homosexuels (n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010)* ou pour le mariage homosexuel (n°2010-92 QPC du 28 janvier 2011)9. Le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de cette dernière décision notait : "Le Conseil a donc jugé, en octobre 2010, qu'il en va de L'homoparentalité" comme il en allait, en janvier 1975, de l'interruption volontaire de grossesse ou, en juillet 1994, de la sélection des embryons : cette question constitue l'archétype de la question de société dont la réponse, en France, appartient au législateur." En janvier 2011, s'agissant de la demande des couples de personnes de même sexe d'accéder au statut du mariage, le Conseil constitutionnel avait confirmé sa jurisprudence respectueuse de la compétence du législateur »'°.
Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, la question de l'ouverture de l'institution du mariage pour des « couples homosexuels » est une « question de société » relevant de la libre appréciation du législateur et qui ne pose pas de problème sur le plan de sa constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel utilise là une formule habituelle dans sa jurisprudence qui exprime le self-restraint du contrôle de constitutionnalité, sa limite, qui est de ne pas se transformer en législateur mais d'assurer un contrôle de la constitutionnalité de la loi qui respecte la volonté légitime du législateur. Cette formule est bien connue, souvent utilisée par le Conseil et résume en quelque sorte à elle seule l'exercice et les limites du contrôle de constitutionnalité:
« // est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen » (§ 14 de la décision du 17 mai 2013).
La conclusion juridique est alors claire : s'il n'y a pas de règle constitutionnelle imposant que le mariage soit réservé aux couples composés d'un homme et d'une femme, simple « question de société », ce qu'un législateur a fait en votant la loi du 17 mai 2013, un autre législateur peut le défaire sans qu'une règle constitutionnelle interdise cette modification.
Comme on va le voir, derrière cette simple vérité juridique, se cachent certaines difficultés qu'il ne faut pas éluder.
L'argumentation du Conseil constitutionnel
L'argumentation développée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013 ne sera pas ici reprise et commentée dans son intégralité. Nous intéressent seulement les éléments qui conduisent à la conclusion que la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe n'est pas irréversible11.
L'absence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel le mariage serait réservé aux couples homme-femme
Les parlementaires saisissants du Conseil constitutionnel ont longuement développé dans leurs saisines la nécessité pour le Conseil de constater l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) selon lequel le mariage est réservé aux couples homme-femme, c'est-à-dire plus fondamentalement la règle d'altérité sexuelle dans le mariage.
Le Conseil constitutionnel rappelle d'abord les critères selon lesquels un principe fondamental reconnu par les lois de la République peut être reconnu :
- ce principe doit avoir un caractère clairement « fondamental », c'est-à-dire constituer une
« règle suffisamment importante », comportant un degré de généralité marqué, intéressant
des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux,
la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics ;
- tirer son origine d'une ou plusieurs lois votées sous un régime républicain et antérieures à
1946, date du préambule où est énoncé cette notion de « principe fondamental reconnu par
les lois de la République » ;
-ce principe ne doit jamais avoir connu de dérogation ou de législation contraire, ceci pour souligner la continuité législative que doit révéler ce principe ;
- enfin, seul le Conseil constitutionnel est compétent pour énoncer ce type de principe et
lui donner valeur constitutionnelle12.
Dans la décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel n'accepte pas de reconnaître un principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la continuité législative qui reconnaît le mariage comme la seule union d'un homme et d'une femme. Il est vrai que cette évidence anthropologique n'est pas énoncée aussi nettement dans le Code civil, tout simplement parce que les évidences n'avaient pas besoin de l'être pour être reconnues.
En tout état de cause, le Conseil énonce, dans cette décision du 17 mai 2013 que « la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme, cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l'organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 ; qu'en outre, doit en tout état de cause être écarté le grief tiré de ce que le mariage serait "naturellement" l'union d'un homme et d'une femme» (§21 de la décision).
La justification donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision est à la fois la reprise de l'argumentation du Gouvernement, selon laquelle « l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe relève d'une question de société alors que les PFRLR dégagés par le Conseil ne sont pas de cette nature. Selon cette conception matérielle des PFRLR, le Conseil ne pourrait reconnaître de tels principes que dans le domaine des libertés fondamentales ou de l'organisation de la République »13, et la reprise d'un argument des partisans du mariage homosexuel, selon lequel « ouvrir aux homosexuels la possibilité de se marier ne restreint pas la possibilité des hétérosexuels de se marier. Il n'y a pas là d'atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale ; il y a extension à de nouvelles personnes de la possibilité d'accéder à un régime légal». Et le Conseil constitutionnel d'ajouter :« en outre, jamais le Conseil constitutionnel n'a dégagé de PFRLR sur des questions de société »14.
On relève d'abord de cette démonstration le constat que la question du mariage, de sa définition, de ses caractéristiques, des conditions d'aptitude pour se marier ne relève pas des droits fondamentaux, ce qui vient confirmer la seule compétence du législateur pour la réglementer, même si ce législateur a été parfaitement constant sur ces caractères et en particulier la condition d'altérité sexuelle, jusqu'à la loi du 17 mai 2013.
On constate ensuite que l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne retire aucun droit au mariage aux personnes hétérosexuelles, selon le Conseil constitutionnel, et que les questions dites « de société » n'ont jamais donné lieu à énoncé d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Ce double constat devrait nous rassurer : on ne retire aucun droit à quiconque, on élargit seulement l'accès à ce droit et les questions « sociétales » les plus disputées n'entrent pas dans le champ de la constitutionnalité. C'est justement ce constat qui est inquiétant dans la mesure où on constate que le Conseil constitutionnel n'a pas mesuré la perte de sens que le mariage subit en l'ouvrant à tout type d'union, sans considération de l'altérité sexuelle.
Mais ce thème n'est pas celui du Conseil constitutionnel, tout simplement parce que ce sujet fondamental ne relève pas de la Constitution. La garantie des droits fondamentaux constitutionnels ne couvre pas les éléments essentiels du mariage, alors même que le Conseil constitutionnel a pourtant reconnu la liberté du mariage comme une composante de la liberté personnelle et lui a conféré nettement une valeur constitutionnelle15.
L'importance du principe d'égalité devant la loi
II faut garder à l'esprit que la revendication du mariage pour les homosexuels est d'abord une revendication d'égalité. Le Conseil constitutionnel le constate lui-même dans son « commentaire » : « la réforme vise, au nom du principe d'égalité, à permettre aux couples homosexuels de se marier et de bénéficier ainsi du régime juridique lié au mariage »16. Et il ajoute, dans la ligne de sa jurisprudence antérieure que le mariage permet ainsi aux « couples » de même sexe de bénéficier du régime juridique du mariage qui assure ainsi la protection de la famille, c'est-à-dire les obligations personnelles et patrimoniales attachées au statut matrimonial, celles assurant la protection du conjoint survivant ainsi que la protection de chacun en cas de divorce17.
Cette modification législative est bien celle d'un alignement du statut conjugal et matrimonial des couples hétéros et homosexuels. En modifiant les conditions d'accès au statut conjugal et en l'ouvrant aux « couples » homosexuels, le législateur a rendu ainsi caduque la jurisprudence précédente du Conseil constitutionnel sur l'accès au mariage pour les homosexuels qui déclarait dans une décision du 28 janvier 201118, à propos de l'argument d'atteinte au principe d'égalité, défendue par la requérante : « l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" ; le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit; en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille; il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ».
Et cette revendication de traitement égalitaire concerne également l'adoption. Avant le vote de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel avait bien souligné, à propos de la revendication de la possibilité d'adoption par un « couple » homosexuel que « en maintenant le principe selon lequel la faculté d'une adoption au sein du couple est réservée aux conjoints, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas pouvait justifier, dans l'intérêt de l'enfant, une différence de traitement quant à l'établissement de la filiation adoptive à l'égard des enfants mineurs ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu'il convient de tirer, en l'espèce, de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes de même sexe ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté »19.
De cet ensemble, on comprend que l'une des clés de cette évolution du mariage légal reste la compétence du législateur pour en décider. Il y a là une certitude que l'on tire nettement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La question demeure maintenant de savoir comment revenir sur la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et quelles seraient les conditions de constitutionnalité d'une loi revenant sur celle de 2013.
Problématique future : comment revenir sur la loi du 17 mai 2013
La réponse paraît simple : puisque le Conseil constitutionnel a reconnu qu'aucune norme constitutionnelle n'interdisait d'ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, une loi nouvelle devrait pouvoir revenir sur la loi du 17 mai 2013 et réserver le mariage aux seuls couples constitués d'un homme et d'une femme. Autrement dit, la réversibilité serait simple et sans difficulté constitutionnelle. On ne s'intéresse ici qu'aux arguments de fond, la question des procédés législatifs et constitutionnels étant traitée dans d'autres chapitres de cet ouvrage.
Précisons tout de suite, comme cela a été toujours dit, qu'il s'agira d'une abrogation, qui conservera les droits acquis des personnes mariées sous le régime de la loi du 17 mai 2013. Insistons sur ce point : il ne peut y avoir ni « démariage », ni « désadoption ». Les droits acquis par le régime législatif de cette loi ne peuvent être remis en cause.
Ajoutons ensuite qu'il n'existe pas d'« effet-cliquet » qui viendrait interdire de revenir sur la loi du 17 mai 2013. Puisqu'il n'existe pas d'exigence constitutionnelle qui interdirait de revenir sur cette loi, cet « effet-cliquet » ne peut interdire cette abrogation. Pour certains défenseurs de cette loi, il existerait une impossibilité de revenir à l'état du droit antérieur parce qu'un « effet-cliquet » empêcherait de supprimer un « droit nouveau » qui est celui pour les homosexuels de contracter mariage. Or, le Conseil constitutionnel lui-même n'a jamais employé ni utilisé ce concept de « l'effet-cliquet ». Il a seulement considéré que des exigences constitutionnelles peuvent encadrer le législateur afin qu'il conserve les garanties inscrites dans la Constitution.
Alors, pas de difficulté constitutionnelle ? Ne soyons pas aveugles ou trop optimistes. Les difficultés constitutionnelles peuvent venir, nous semble-t-il, de trois arguments.
Le premier argument est celui, évidemment, du principe d'égalité. Inscrit à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune » - le principe d'égalité est un puissant vecteur de la société française et du droit. Mais le Conseil constitutionnel, comme avant lui le Conseil d'État, a toujours considéré que les différences de situation peuvent entraîner un traitement différent, en lien avec l'objet de la loi. Il faudra donc argumenter sur cette différence de situation objective, entre les « couples homosexuels » et les autres, particulièrement en termes de formation d'une famille et des enfants issus de cette union des parents. C'est certainement sur ce point que l'argumentation devra insister.
Le deuxième argument porte sur la liberté du mariage. C'est, en ce qui concerne directement le mariage, le seul élément directement relié au bloc de constitutionnalité. On l'a vu précédemment, le Conseil constitutionnel admet que la liberté du mariage est une liberté de valeur constitutionnelle20.
Mais le raisonnement du Conseil constitutionnel, développé dans sa décision du 28 janvier 2011, mérite d'être reproduit intégralement :
« 4. Considérant que, selon les requérantes, l'interdiction du mariage entre personnes du même sexe et l'absence de toute faculté de dérogation judiciaire portent atteinte à l'article 66 de la Constitution et à la liberté du mariage ; que les associations intervenantes soutiennent, en outre, que sont méconnus le droit de mener une vie familiale normale et l'égalité devant la loi; « 5. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61-1 de la Constitution, à l'instar de l'article 67, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit; « 6. Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution prohibe la détention arbitraire et confie à l'autorité judiciaire, dans les conditions prévues par la loi, la protection de la liberté individuelle ; que la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1 789 ; que les dispositions contestées n'affectent pas la liberté individuelle ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de l'article 66 de la Constitution est inopérant;
« 7. Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel;
« 8. Considérant, d'une part, que le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 7 946 qui dispose : "La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement"; que le dernier alinéa de l'article 75 et l'article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l'article 515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par ses articles 515-1 et suivants ; que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale; « 9. Considérant, d'autre part, que l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse"; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peutjustifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ; « 10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte à la liberté du mariage doit être écarté ;
«11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit».
Le troisième argument peut être tiré de cette jurisprudence. On l'aura compris, si la liberté du mariage est bien de valeur constitutionnelle, il revient au législateur d'en fixer les conditions dès qu'il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Certes, la liberté du mariage est bien une composante de la liberté personnelle, qui est fortement protégée du point de vue constitutionnel21.
Parmi ces exigences constitutionnelles, on peut identifier le droit à mener une vie familiale normale, reconnu depuis 1993 par le Conseil constitutionnel, auquel on peut ajouter la « protection de la famille » tiré du préambule de la Constitution de 1946, inséré dans le bloc de constitutionnalité. Il faudra être particulièrement attentif à ces deux principes de valeur constitutionnelle, qui peuvent inclure l'existence d'obligations personnelles et patrimoniales, la question de la protection du conjoint survivant, ou encore la protection des intérêts de chaque conjoint en cas de divorce. Mais le Conseil constitutionnel précise bien dans cette décision de 2011 précitée que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ».
La question qui se posera, en présence d'une loi nouvelle abrogeant la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, est de savoir si le Conseil constitutionnel considérera que cette loi nouvelle a une incidence sur les principes constitutionnels concernés, pour les remettre en cause. En toute hypothèse, cela ne devrait pas être le cas dans la mesure où une loi ordinaire ne peut modifier les normes constitutionnelles de référence qui servent justement au contrôle de ces lois. Ce serait renverser le principe de hiérarchie des normes juridiques, sous prétexte d'une évolution « sociétale », ce qui reviendrait à constitutionnaliser « l'effet-cliquet », pour une loi de circonstances dont la maîtrise revient au législateur. Là est l'un des enjeux majeurs d'une décision qui reviendra aux politiques, à leur courage, à leurs convictions et à notre capacité de conviction.
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Résumé
La Convention européenne des droits de l'homme garantit aux seuls couples sexuellement complémentaires le droit de se marier et de fonder une famille ; dès lors le « mariage homosexuel » n'est pas en soi l'objet d'une garantie conventionnelle et le législateur national peut l'abroger. Ce n'est que par incidence que la Cour européenne pourrait sanctionner cette abrogation, si certaines de ses conséquences lui paraissaient excessives par rapport au but poursuivi par le législateur. Ainsi, l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 paraît possible dans le cadre d'une révision du régime du pacte civil de solidarité, à condition de clairement définir et distinguer les finalités spécifiques du mariage et de l'union civile.
Certains partisans de la loi du 17 mai 2013 redéfinissant le mariage de façon asexuée soutiennent que son abrogation est impossible au regard des exigences de la Cour européenne des droits de l'homme1. Après examen, cet « argument massue2 » s'avère relever davantage de la rhétorique que de la rigueur juridique. Ils contestent la possibilité, après être passé d'un régime d'interdiction à un régime d'autorisation du mariage entre personnes de mêmes sexes de revenir à l'interdiction. Ce faisant, ils placent le débat sur le plan de la liberté. Or, ce qui est en cause n'est pas la liberté de se marier mais la définition, la nature même du mariage.
De même, ils affirment qu'un mouvement irrésistible conduit à l'acceptation du mariage entre personnes de même sexe, par conséquent la France ne saurait changer d'avis et aller à contre-courant. Là encore, il s'agit d'un point de vue partiel et partial. Certes la situation évolue rapidement en Europe, mais de façon contrastée : on assiste depuis une dizaine d'années à un double mouvement de légalisation du mariage entre personnes de même sexe à l'Ouest, et de constitutionnalisation du mariage entre un homme et une femme à l'Est, si bien que le continent apparaît de plus en plus divisé. Le mouvement en faveur du mariage entre personnes de même sexe a été amorcé en 2001 par les Pays-Bas, suivis en 2003 par la Belgique puis par l'Espagne en 2005, la Suède et la Norvège en 2009, le Portugal et l'Islande en 2010, le Danemark en 2012, la France et la Grande-Bretagne en 2013 et enfin le Luxembourg en 2014.
Sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe, 11 ont donc changé la définition du mariage. Autrement dit, plus des trois quarts ont gardé le mariage comme union d'un homme et d'une femme. Plusieurs protègent constitutionnellement le mariage sans en préciser la définition, qui est sous-entendue, comme l'Irlande, l'Italie, la Grèce, l'Allemagne, ['Azerbaïdjan ou la Roumanie. D'autres non seulement n'ont pas souhaité changer la définition hétérosexuelle du mariage, mais l'ont constitutionnalisée pour se prémunir autant que possible contre d'éventuels changements imposés notamment par les institutions européennes ou par des juridictions internes3. Actuellement, 13 États définissent dans leur Constitution le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme : Arménie (article 35), Biélorussie (article 32), Bulgarie (article 46), Croatie (article 62), Hongrie (article L.1), Lettonie (article 110), Lituanie (article 38), Moldavie (article 48.2), Monténégro (article 71), Pologne (article 18), Serbie (article 62), Slovaquie (article 41) et Ukraine (article 51). Les cas les plus récents sont la Hongrie en 2012, la Croatie en 2013, la Slovaquie en 2014. La Macédoine a entamé en 2014 le processus de modification de sa Constitution en ce sens. Le rapport de forces politiques n'est donc pas favorable au mariage entre personnes de même sexe.
Deux articles de la Convention européenne des droits de l'homme touchent au mariage : l'article 12, qui consacre le droit de se marier et de fonder une famille, et l'article 8 qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. Contrairement aux autres dispositions qui garantissent des droits à « toute personne », l'article 12 de la Convention mentionne expressément « l'homme et la femme ». Il garantit le droit pour un homme et une femme d'âge nubile de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales en régissant l'exercice.
Comme la Convention, tous les instruments internationaux qui protègent le droit de se marier précisent que les titulaires en sont l'homme et la femme et le lient expressément a la fondation de la famille, élément naturel et fondamental de la société, en précisant que celle-ci a droit à la protection de la société et de l'État4, y compris sa protection économique, juridique et sociale5.
Pour qu'une loi nouvelle restaurant la définition du mariage comme l'union exclusive entre un homme et une femme entraîne la condamnation de la France, il faudrait considérer qu'une telle définition stricte du mariage serait en elle-même contraire à la Convention, ce qui n'est pas le cas puisqu'elle correspond à celle donnée par la Convention et le droit international. Néanmoins, la Cour serait attentive aux conséquences du changement, qui ne doivent pas porter atteinte de façon injustifiée aux droits des personnes affectées, ce qui peut nécessiter l'adoption de certaines mesures d'accompagnement. Plus généralement, la définition du mariage est une question de nature politique bien plus que juridique. La portée des arguments juridiques tendant à limiter la liberté des gouvernements doit être d'autant plus relativisée que cette question divise politiquement l'Europe, restreignant d'autant la faculté des institutions européennes d'imposer aux États un choix particulier.
L'inanité des obstacles liés au droit au mariage
Pour qu'un retour à la législation antérieure soit impossible, il faudrait que cette législation soit elle-même devenue illégale, c'est-à-dire que le droit au mariage entre personnes de même sexe soit désormais garanti par la Convention, ce qui n'est pas le cas.
Même si elle fait évoluer l'interprétation de la Convention selon sa perception de l'évolution sociale, la Cour ne peut aller contre la lettre de la Convention et la volonté de ses rédacteurs. Il faudrait pour cela l'accord exprès de l'ensemble des États membres. En revanche, on peut se demander si la définition asexuée du mariage est compatible avec le droit européen et international.
La Convention ne garantit qu'à l'homme et à la femme le droit de se marier et de fonder une famille
Selon l'article 12 de la Convention, «À partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ». Ce droit est si limpide que les travaux préparatoires sont muets pour ce qui le concerne6. Comme l'a souligné la Cour à plusieurs reprises : « Dans les années 1950, le mariage était à l'évidence compris au sens traditionnel d'union entre deux personnes de sexe différent ».
Pendant une période, la Cour a été tentée par une « interprétation évolutive7 » sur la question du mariage. Elle a ainsi expliqué dans l'arrêt Schalk et Kopf que : « la Cour ne considère plus que le droit de se marier consacré par l'article 12 de la Convention doive en toutes circonstances se limiter au mariage entre deux personnes de sexe opposé8 ». Elle concédait cependant qu'elle « ne doit pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales9 ». Même si elle concluait que, en l'état actuel des choses, « l'article 12 n'impose pas au gouvernement défendeur l'obligation d'ouvrir le mariage à un couple homosexuel», elle semblait ouvrir la voie à un changement de définition du mariage.
Néanmoins, la Cour est intégrée dans un ensemble d'institutions politiques. Elle ne peut donc faire abstraction d'un certain nombre de réalités et doit prendre en compte les contingences politiques dans ses jugements, c'est pourquoi elle paraît aujourd'hui avoir renoncé à faire évoluer son interprétation du droit au mariage. Le 16 juillet 2014, dans l'arrêt Hàmàlàinen c. Finlande (16 juillet 2014) la Grande Chambre a donné une réponse qui dans sa formulation se présente comme définitive, en indiquant que ni l'article 8 ni l'article 12 de la Convention ne garantissent le droit au mariage entre personnes de même sexe. Elle a affirmé que : « l'article 8 de la Convention ne peut être compris comme imposant aux États contractants l'obligation d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels » (§ 71). Elle a précisé ensuite que : « le droit fondamental pour un homme et une femme de se marier et de fonder une famille » garanti à l'article 12 « consacre le concept traditionnel du mariage, à savoir l'union d'un homme et d'une femme ». La Grande Chambre a ajouté : « S'il est vrai qu'un certain nombre d'États membres ont ouvert le mariage aux partenaires de même sexe, l'article 12 ne saurait être compris comme imposant pareille obligation aux États contractants » (§ 96). Il est donc parfaitement clair qu'il n'existe pas de droit au mariage entre personnes de même sexe au titre de la Convention, même interprétée « à la lumière des conditions actuelles" » : les États membres n'ont pas l'obligation de le légaliser.
En 2011, la Commission de Venise a été appelée à se prononcer sur la constitutionnalisation du mariage entre un homme et une femme en Hongrie12. Citant l'arrêt Schalk et Kopf, qui reconnaît « qu'il n'existe pas de consensus européen sur la question du mariage homosexuel » (§ 58), ainsi que l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui affirme que : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice13 », la Commission de Venise a conclu que la définition du mariage relevait de la compétence nationale. Elle a aussi noté que, si les couples de personnes de même sexe ne pouvaient se marier, ils bénéficiaient de la faculté de conclure un partenariat enregistré. Elle a confirmé cette position dans son opinion n° 779 du 25 septembre 2014 au sujet de la Macédoine (CDL-AD(2014)026).
De même, en mars 2014, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe s'est référé à la conclusion de l'arrêt Schalk et Kopf pour s'accorder sur le fait que : « l'interdiction du mariage de personnes de même sexe en Croatie'4 » ne pose pas de problème, en réponse à la question écrite n° 647 de M. Mogens Jensen. Le Comité des ministres a noté en outre l'intention du Gouvernement de la Croatie d'introduire un statut de partenariat civil, ce qui a été réalisé depuis.
D'aucuns soutiennent que la redéfinition asexuée du mariage serait une extension du droit au mariage et qu'une restauration de sa définition hétérosexuelle serait une limitation ultérieure de ce droit donc ne saurait être admise. Ils invoquent notamment à titre de comparaison l'abolition de la peine de mort ou la dépénalisation de l'avortement. Ceci ne tient pas pour plusieurs raisons. D'abord, la peine de mort et l'avortement sont des exceptions au droit à la vie. Il s'agit donc dans un cas de supprimer une exception, dans l'autre d'en créer une, mais cela ne porte pas atteinte à la substance du droit : la définition de la vie n'est pas modifiée. Au contraire, estimer qu'un mariage peut être réalisé par deux personnes de même sexe n'est pas une extension du droit au mariage mais un changement radical de sa substance, car l'altérité sexuelle est constitutive du mariage.
D'autre part, la peine de mort a été abolie progressivement dans tous les pays d'Europe puis interdite par la Convention elle-même à travers les Protocoles 6 (1983) et 13 (2002). Certes les États ne peuvent la rétablir mais ils ont expressément consenti à être liés par cette interdiction. La conventionalité d'un acte ne dépend pas de sa légalité ou de son illégalité dans l'ordre interne. C'est particulièrement vrai s'agissant du mariage ; la Cour reconnaît d'ailleurs que : « Le fait qu'un pays occupe, à l'issue d'une évolution graduelle, une situation isolée quant à un aspect de sa législation n'implique pas forcément que pareil aspect se heurte à la Convention, surtout dans un domaine - le mariage - aussi étroitement lié aux traditions culturelles et historiques de chaque société et aux conceptions profondes de celle-ci sur la cellule familiale15 ». De même, ce n'est pas parce que de nombreux États ont progressivement admis l'avortement sous certaines conditions qu'il en serait devenu un droit protégé par la Convention16. Des États peuvent maintenir leur choix de donner une importance primordiale au droit à la vie de l'enfant à naître, comme l'Irlande ou Malte, ou même restreindre l'accès à l'avortement comme l'ont fait de nombreux pays d'Europe de l'Est depuis la chute du communisme (Pologne, Hongrie, Russie, Macédoine...) mais aussi la Norvège qui a réduit le délai légal en janvier 2014.
La redéfinition asexuée du mariage viole-t-elle la définition du mariage en droit européen et international ?
Comme il a déjà été souligné, les différents traités internationaux protègent « indissolublement17 » le droit se marier et de fonder une famille dans les mêmes termes que la Convention. Des organes juridictionnels ou semi-juridictionnels de l'Union européenne ou des Nations unies ont confirmé qu'ils visaient l'union d'un homme et d'une femme. Ainsi, selon la Cour de Luxembourg, « il est constant que le terme de "mariage", selon la définition communément admise par les États membres, désigne une union entre deux personnes de sexe différent'8». De même, le Comité des droits de l'homme des Nations unies, chargé de veiller au respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a estimé que le droit de se marier et de fonder une famille garanti à l'article 23 § 2 du Pacte doit être compris comme volontairement et exclusivement réservé à l'homme et à la femme, car il s'agit de « la seule disposition de fond qui définit un droit en employant les termes "l'homme et la femme", plutôt que "tout être humain", "chacun" et "toutes les personnes" ». En outre, cet article « a été régulièrement et uniformément interprété comme signifiant que l'obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 2 de l'article 23 du Pacte se limite à reconnaître comme constituant un mariage l'union entre un homme et une femme qui souhaitent se marier'9 ». Ceci est conforme à l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui précise qu'un « traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes ».
La question de la compatibilité de la redéfinition asexuée du mariage avec le droit international mérite d'être posée. Il doit être noté tout d'abord que la Cour de Strasbourg ne s'est jamais prononcée directement sur cette question. Elle s'est bornée à constater que certains pays légalisent cette pratique.
La réponse à cette question varie selon que l'on estime que le droit conventionnel contient ou non une définition du mariage. Dans le premier cas, cette redéfinition dans l'ordre interne enfreint la définition conventionnelle, dans le second, elle étend seulement la portée du droit dans l'ordre interne au-delà des exigences conventionnelles, qui ne constitueraient alors que des garanties minimales. Cette appréciation dépendrait à son tour de la fonction du mariage dans la société : si le mariage est la reconnaissance sociale de l'union de deux individus, alors la redéfinition asexuelle du mariage étend sa portée ; en revanche si le mariage est l'institution visant à accueillir la fondation et le développement d'une famille comme cellule fondamentale et naturelle de la société20, alors cette redéfinition nationale heurte la définition conventionnelle du mariage car deux personnes de même sexe ne peuvent pas fonder naturellement une véritable famille. Il faut noter à cet égard que la communauté internationale maintient avec constance qu'il n'existe en droit international que « la famille », toutes les tentatives pour lui substituer l'idée d'une pluralité de modèles familiaux ayant été rejetées.
En garantissant le droit de l'homme et de la femme de se marier ensemble et de fonder une famille, le droit européen et international ne fait pas que décrire les titulaires d'un droit (subjectif) au mariage, il définit le mariage comme l'institution sociale au sein de laquelle les couples sont invités à fonder leur famille. En cela, le droit international et européen contient bien une définition du mariage. L'obligation pour la société de proposer l'institution du mariage aux couples résulte de son obligation première et fondamentale de protéger la famille, cellule fondamentale et naturelle de la société.
Estimer que le texte du droit conventionnel de se marier et de fonder une famille ne contiendrait pas une définition juridique du mariage mais seulement des garanties minimales implique non seulement la conventionalité du « mariage homosexuel », mais aussi celles de toutes les autres formes de mariages, comme la polygamie, l'inceste et le mariage avec des enfants, qui seraient alors autant d'extensions de la portée du droit au mariage. Selon cette approche, la Convention ne saurait empêcher un gouvernement européen de légaliser la polygamie. La question serait alors la même que concernant le « mariage homosexuel » : un gouvernement suivant aurait-il la faculté d'abroger cette loi et de restaurer le mariage dans sa définition monogame originale sans violer les droits conventionnels des personnes déjà engagées dans un mariage polygame ou désireuses de s'y engager ?
La Cour exerce son contrôle sur les conséquences du changement législatif
La Cour ne peut s'opposer au choix, en soi, d'un État de définir le mariage comme l'union exclusive d'un homme et d'une femme, elle ne peut davantage imposer aux États l'obligation nouvelle de définir le mariage autrement que tel qu'il est défini et garanti dans la Convention. En revanche, dès lors qu'un changement législatif vient modifier les conditions d'exercice du mariage, il est probable que la Cour exercera son contrôle sur la conventionalité des conséquences de cette modification, bien que la Convention réserve au droit national la détermination des modalités d'exercice du droit au mariage.
Le mariage, compétence des États
Tant la Convention européenne que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne précisent que l'exercice du droit au mariage est régi par les lois nationales. Une telle disposition, unique dans la Convention, constitue une réserve nationale de compétence et devrait entraîner l'incompétence de la Cour dans l'appréciation des modalités d'exercice du droit au mariage, limitant la compétence de la Cour à la garantie de la substance du droit consacré à l'article 12, c'est-à-dire le droit de l'homme et de la femme, à partir de l'âge nubile, de se marier ensemble et de fonder une famille. La Cour a en effet jugé que l'État peut poser des conditions légales à l'exercice du droit de se marier, ces conditions ne doivent toutefois pas restreindre ou réduire ce droit « à un degré qui
l'atteindraient dans sa substance même21 » ; le pouvoir de l'État n'est donc pas illimité22 et vise les conditions usuelles en Europe23. Par exemple, se prononçant sur l'interdiction du divorce, la Cour a estimé que bien que constituant une limitation à la capacité de se (re) marier, « pareille limitation ne saurait (...) passer pour une atteinte à la substance même du droit garanti par l'article 12 » de la Convention24.
Selon l'interprétation stricte de l'article 12, la Cour ne pourrait ainsi censurer que les restrictions abusives portées par le droit interne à rencontre de la volonté de couples de personnes de sexes opposés de se marier et de fonder une famille. C'est ce qu'elle a fait s'agissant de certains empêchements au mariage25 : la Cour ne garantit que la substance du droit de se marier et de fonder une famille, c'est-à-dire son cœur même. Ainsi, la Convention ne garantit pas avec la même force tous les aspects du droit de se marier et de fonder une famille.
À supposer que l'article 12 ne contienne pas une définition (hétérosexuelle et monogame) du mariage, la décision de permettre à des personnes impliquées dans d'autres types de relations de se marier relève de la compétence réservée par la Convention au droit interne. Il en résulte que si le mariage entre personnes de même sexe entre dans le champ d'application de l'article 12, cette modalité de mariage n'atteint pas la substance même du droit conventionnel, elle ne bénéficie pas de la garantie, mais relève uniquement des modalités nationales d'exercice du droit de se marier et de fonder une famille.
Dès lors, le législateur national conserve une libre compétence pour modifier les conditions régissant l'exercice du droit relatif au mariage en tout ce qui échappe à la substance de ce droit définie dans la première partie de l'article 12.
C'est d'ailleurs une règle générale, dans tout le champ d'application de la Convention, que le législateur peut changer la loi dans le sens qui lui convient selon les circonstances. La Cour l'a toujours reconnu : « Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est "d'utilité publique". (...) Estimant normal que le législateur dispose d'une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de /'"utilité publique" sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable26 ». En outre, « Lorsque des questions de politique générale sont enjeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d'accorder une importance particulière au rôle du décideur national27 ». Dans les domaines soulevant des questions morales et éthiques délicates, surtout lorsqu'il n'y a pas de communauté de vue entre les États, la Cour leur reconnaît une large marge
d'appréciation28. Elle devrait limiter en conséquence la portée de son contrôle plus encore en une matière qui, comme en l'espèce, fait l'objet d'une réserve explicite de compétence nationale.
Ainsi donc, à l'égard des droits garantis par la Convention, le rôle de la Cour demeure subsidiaire par rapport aux autorités nationales. Par le quinzième protocole additionnel (du 24 juin 2013), les gouvernements européens ont d'ailleurs souhaité en imposer davantage le respect par la Cour en introduisant dans le préambule de la Convention européenne la référence explicite au principe de subsidiarité et à la marge d'appréciation qui lui est associée. Ce protocole a toutefois surtout une valeur incantatoire, car le respect du principe de subsidiarité demeure soumis au bon vouloir des juges.
Cela étant, la Cour devrait respecter d'autant plus la liberté des États, au-delà de la subsidiarité et de la marge d'appréciation, dans un domaine dont la Convention prévoit explicitement qu'il demeure régit par les lois nationales, comme en la matière.
Ainsi, au regard de l'article 12 de la Convention, le législateur français pourrait donc sans crainte décider de rétablir le mariage comme l'union exclusive d'un homme et d'une femme, car cela relève de sa compétence nationale et ne heurte pas la substance du droit garanti. Un tel choix, correspond en outre à la définition du mariage en vigueur depuis l'Antiquité, dans le droit international et à la situation dans la grande majorité des États membres du Conseil de l'Europe. Si la Cour entreprenait d'en juger la légitimité au regard de l'article 12, elle ne pourrait pas raisonnablement considérer ce choix comme dépourvu de base raisonnable ou comme portant atteinte à la substance du droit de se marier garanti par la Convention.
Il s'agit cependant là de principes que la Cour rappelle régulièrement mais qu'elle n'hésite pas à contredire lorsque le législateur adopte des positions qui lui déplaisent. Même si la Cour est censée respecter la subsidiarité et faire preuve de retenue, elle outrepasse fréquemment sa compétence, en particulier s'agissant de questions de société, allant jusqu'à condamner des dispositions confirmées par référendum29. La Cour étant particulièrement sourcilleuse au sujet de différences fondées sur l'orientation sexuelle30, il est certain qu'elle examinera très attentivement la question.
Ainsi, la restauration du mariage ne se heurte pas aux exigences propres de l'article 12. Ce constat n'épuise cependant pas l'analyse, car encore faut-il que les modalités de cette restauration respectent les exigences des articles 8 et 14 tels qu'interprétées extensivement par les juges de Strasbourg.
L'extension de la protection aux questions « tombant sous l'empire » de la Convention au regard des articles 8 et 14
Autrefois, il aurait suffi de constater que le droit au mariage ne bénéficie pas aux personnes de même sexe au titre de l'article 12 pour conclure à l'absence de violation de la Convention d'une loi supprimant cette faculté. Ce n'est plus le cas à présent, car la Cour a étendue la portée de son contrôle sur les matières qui ne relèvent qu'indirectement, voire même de façon éloignée, de la Convention.
La Cour a d'abord rendu l'applicabilité de l'article 14 proscrivant les discriminations quasiment autonome. En effet, même lorsque la Convention ne garantit pas un droit- comme le mariage entre personnes de même sexe - la Cour fait application de l'article 14 lorsque la matière en cause entre dans le champ d'application d'une disposition conventionnelle31. Suivant cette application extensive de l'article 14, il suffirait à la Cour d'estimer que la restauration du mariage affecte les droits de personnes dans le champ de l'article 12 pour que l'article 14 soit applicable. Ainsi, alors même que la Convention ne contient pas de droit au mariage entre personnes de même sexe, les effets de sa suppression devraient respecter le principe de non-discrimination. En outre, suivant la même logique, la Cour a condamné des États au motif que leur législation interne ne répondait pas à ses attentes, leur reprochant un manque de cohérence et de précision du droit sur des matières qui ne constituent pourtant pas des droits conventionnels (par exemple en matière d'euthanasie, de procréation médicalement assistée ou d'avortement32).
Bien que l'article 12 soit la lex specialis en matière de mariage, il est possible que la Cour juge que l'impossibilité pour une personne de se marier entrerait aussi dans le champ du droit au respect à la vie privée et familiale garanti à l'article 8. Cela rendrait encore applicable à ces mesures l'interdiction des discriminations prévue à l'article 14.
Quant à savoir si l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 créerait pour certaines personnes une ingérence dans leurs droits garantis à l'article 8 et en constituerait une violation, cela dépend des modalités de ladite abrogation. En présence d'une ingérence, il appartiendrait au gouvernement de prouver que celle-ci est prévue par la loi, qu'elle poursuit un but légitime et qu'elle est proportionnée à ce but.
Le premier point ne pose évidemment aucun problème : c'est bien une loi qui abrogera le nouvel article 143 du Code civil ou qui en supprimera les mots « ou de même sexe ». Le but légitime devra être clairement énoncé dans l'exposé des motifs de la loi ; il nécessite une définition du mariage comme institution sociale et non pas comme droit subjectif, c'est-à-dire comme institution ayant pour objet principal de protéger la famille et d'organiser ses relations avec la société. En cela, le législateur peut s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour qui reconnaît le mariage comme « une institution qui s'inscrit dans le cadre de la société33 » et la légitimité des mesures visant la « protection de la famille traditionnelle », même si cet objectif peut être mis en balance avec d'autres considérations34. La Cour a indiqué que : « le mariage et la famille sont étroitement associés dans la Convention comme dans les droits nationaux35 », que : « le mariage est dans tous les États signataires de la Convention l'institution reconnue qui entraîne la fondation d'une famille »16 et que par conséquent : « le but poursuivi [par l'article 12] consiste essentiellement à protéger le mariage
en tant que fondement de la famille37 ». Le mariage permet aussi de garantir à l'enfant une filiation à l'égard de son père et de sa mère. Il l'inscrit dans une lignée, une histoire familiale, lui donnant une part essentielle de son identité, et lui assure la stabilité et la sécurité nécessaires à son développement.
Le second but poursuivi en réservant le mariage aux couples de personnes de sexes opposés est la protection des enfants, en particulier au regard de la faculté offerte par la loi du 17 mai 2013 aux couples de même sexe d'adopter un enfant. Cet argument vise la protection de l'enfance et repose sur le fait qu'il est préférable pour un enfant d'être élevé dans un environnement aussi proche que possible d'une famille naturelle, et donc avec un père et une mère, plutôt que par deux adultes de même sexe. Cet argument repose aussi sur le fait que la loi du 17 mai 2013 a, de fait, encouragé le recours à la PMA et à l'adoption au sein des couples de femmes, encourageant ainsi la conception d'enfants délibérément privés de leur père. Cet argument de bon sens, largement soutenu dans l'opinion publique, est très fort et déterminant dans la volonté de revenir sur la loi du 17 mai 2013. Il est conforme aussi à la recommandation 18 du Comité des Droits de l'enfant des Nations unies qui souligne que : «les filles comme les garçons ont besoin de personnes des deux sexes sur qui prendre modèle33 ».
Cet argument s'oppose toutefois à un arrêt39 par lequel la Cour a condamné l'Autriche pour ne pas avoir permis l'adoption co-parentale homosexuelle. Dans cet arrêt, la Cour a fait du scepticisme une norme en affirmant que le Gouvernement n'avait pas «présenté d'arguments précis, d'études scientifiques ou d'autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les familles homoparentales ne peuvent en aucun cas s'occuper convenablement d'un enfant » (§ 142), ni établi «qu'Userait préjudiciable pour un enfant d'être élevé par un couple homosexuel ou d'avoir légalement deux mères ou deux pères »(§ 146). La Cour a trouvé une discrimination en ce que l'adoption co-parentale est ouverte en Autriche aux concubins de sexe opposé (c'est cette différence avec la situation française qui a conduit à une solution différente de l'arrêt Cas et Dubois c. France, précit). Cet arrêt demeure isolé et controversé, car adopté par seulement dix voix contre sept, il peut donc être renversé, d'autant plus qu'il existe des études scientifiques40 qui indiquent que les couples hommes-femmes offrent un meilleur environnement pour les enfants que les couples homosexuels.
Un troisième but légitime serait d'éviter l'encouragement au détournement des lois françaises en matière de PMA-GPA à l'étranger. Ces pratiques n'ont pas été autorisées par la loi du 17 mai 2013 mais la possibilité (voire l'obligation) de les entériner a posteriori encourage la fraude à la loi. En outre, les liens entre la PMA, la GPA et la traite des femmes et des enfants sont de mieux en mieux établis et la Cour elle-même les a reconnus41. Une nouvelle fois la jurisprudence de la Cour affaiblit cet argument, puisqu'elle regarde favorablement la faculté de contourner la loi nationale en ayant recours à l'étranger à des techniques interdites dans le pays42 et exige la transcription des filiations établies à l'étranger43. Pour la Cour, cette faculté de contourner impunément la loi nationale a la vertu de modérer l'interdiction légale de pratiques et par conséquent, de réduire d'autant l'ingérence dans les droits individuels causée par cette interdiction44.
Admettant la légitimité des buts poursuivis par l'abrogation de la loi du 17 mai 2013, la Cour examinerait ensuite « s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé45 ». Pour la Cour, l'ingérence ne doit pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour atteindre la finalité recherchée. Il est donc nécessaire que le but de la loi soit expressément indiqué. Si le mariage vise en premier lieu la sécurité de la filiation et le fondement de la famille, les couples de personnes de même sexe sont dans une situation radicalement différente des couples de personnes de sexes opposés au regard de la procréation, ce qui justifie de réserver le mariage aux derniers. Le résultat de l'examen de proportionnalité dépendra des modalités de l'abrogation.
Plusieurs modalités d'abrogation sont possibles. Chacune doit faire l'objet d'un examen particulier au regard de ses effets.
En toutes hypothèses, l'abrogation supprimerait pour l'avenir la faculté de « mariage homosexuel » et par voie de conséquence celle qui lui est attachée d'adoption de l'enfant du conjoint. Concernant la faculté de se marier, nous avons vu qu'elle n'est garantie qu'aux couples homme-femme ; il est donc possible de supprimer cette faculté pour l'avenir. Concernant la faculté d'adoption, la Cour a déjà jugé dans l'affaire Gas et Dubois qu'il n'est pas contraire à la Convention de réserver aux couples mariés la faculté d'adopter l'enfant du conjoint, et que la définition du mariage peut légitimement entraîner la détermination des titulaires de la faculté d'adopter l'enfant du conjoint. La Cour admet ainsi que la faculté d'adopter l'enfant du conjoint soit une conséquence exclusive du mariage. Ainsi, la faculté de restaurer la définition du mariage emporte celle d'exclure les personnes non mariées de la possibilité d'adopter l'enfant de leur compagnon, sans constituer en soi une discrimination.
S'agissant des effets d'une abrogation de la loi du 17 mai 2013 sur le passé, c'est-à-dire des mariages et adoptions déjà prononcées, l'option de l'annulation pure et simple des mariages déjà conclus n'est pas possible, car ces mariages ont été contractés légalement. La situation était différente en Australie, où la Haute Cour a invalidé le 12 décembre 2013 la loi sur le « mariage homosexuel » adoptée dans le territoire de Canberra, entraînant l'annulation des mariages célébrés dans l'intervalle.
Il serait possible de laisser subsister les mariages existants, tout en refusant la célébration de nouveaux mariages. Les droits individuels acquis seraient ainsi conservés, et conciliés avec l'intérêt général. Deux difficultés subsisteraient toutefois. D'abord, même si la différence de régime juridique selon les règles d'application de la loi dans le temps paraît une conséquence normale d'un changement de loi, la Cour pourrait y voir une discrimination4'' entre les couples de même sexe qui auront pu se marier et ceux qui ne le pourront plus. Ensuite, se poserait la question de l'adoption après l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 par dos couples homosexuels déjà mariés, même si le nombre de cas serait limité.
Le but premier de l'abrogation étant de garantir le droit des enfants d'avoir un père et une mère, il serait incohérent de continuer à permettre à des couples de même sexe d'adopter. Le leur interdire créerait de fait un mariage avec deux régimes différents, un pour les couples de sexes opposés avec filiation et adoption, l'autre pour les personnes de même sexe sans adoption. La Cour admet les différences de régimes entre mariage et partenariat enregistré, mais non à l'intérieur d'un même statut, cela constituerait alors une discrimination47. De surcroît, la possibilité pour les célibataires d'adopter est source d'incohérence48 au regard de la volonté de préserver l'intérêt des enfants d'avoir un père et une mère, et de possible discrimination entre homosexuels célibataires (ou en union libre) et homosexuels pacsés. L'adoption plénière devrait donc être réservée aux époux.
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"La conventionalité de l'abrogation de la loi du 17 Mai 2013"
par Grégor Puppinck et Claire de la Hougue - IF&R
Résumé
La Convention européenne des droits de l'homme garantit aux seuls couples sexuellement complémentaires le droit de se marier et de fonder une famille ; dès lors le « mariage homosexuel » n'est pas en soi l'objet d'une garantie conventionnelle et le législateur national peut l'abroger. Ce n'est que par incidence que la Cour européenne pourrait sanctionner cette abrogation, si certaines de ses conséquences lui paraissaient excessives par rapport au but poursuivi par le législateur. Ainsi, l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 paraît possible dans le cadre d'une révision du régime du pacte civil de solidarité, à condition de clairement définir et distinguer les finalités spécifiques du mariage et de l'union civile.
Certains partisans de la loi du 17 mai 2013 redéfinissant le mariage de façon asexuée soutiennent que son abrogation est impossible au regard des exigences de la Cour européenne des droits de l'homme1. Après examen, cet « argument massue2 » s'avère relever davantage de la rhétorique que de la rigueur juridique. Ils contestent la possibilité, après être passé d'un régime d'interdiction à un régime d'autorisation du mariage entre personnes de mêmes sexes de revenir à l'interdiction. Ce faisant, ils placent le débat sur le plan de la liberté. Or, ce qui est en cause n'est pas la liberté de se marier mais la définition, la nature même du mariage.
De même, ils affirment qu'un mouvement irrésistible conduit à l'acceptation du mariage entre personnes de même sexe, par conséquent la France ne saurait changer d'avis et aller à contre-courant. Là encore, il s'agit d'un point de vue partiel et partial. Certes la situation évolue rapidement en Europe, mais de façon contrastée : on assiste depuis une dizaine d'années à un double mouvement de légalisation du mariage entre personnes de même sexe à l'Ouest, et de constitutionnalisation du mariage entre un homme et une femme à l'Est, si bien que le continent apparaît de plus en plus divisé. Le mouvement en faveur du mariage entre personnes de même sexe a été amorcé en 2001 par les Pays-Bas, suivis en 2003 par la Belgique puis par l'Espagne en 2005, la Suède et la Norvège en 2009, le Portugal et l'Islande en 2010, le Danemark en 2012, la France et la Grande-Bretagne en 2013 et enfin le Luxembourg en 2014.
Sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe, 11 ont donc changé la définition du mariage. Autrement dit, plus des trois quarts ont gardé le mariage comme union d'un homme et d'une femme. Plusieurs protègent constitutionnellement le mariage sans en préciser la définition, qui est sous-entendue, comme l'Irlande, l'Italie, la Grèce, l'Allemagne, ['Azerbaïdjan ou la Roumanie. D'autres non seulement n'ont pas souhaité changer la définition hétérosexuelle du mariage, mais l'ont constitutionnalisée pour se prémunir autant que possible contre d'éventuels changements imposés notamment par les institutions européennes ou par des juridictions internes3. Actuellement, 13 États définissent dans leur Constitution le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme : Arménie (article 35), Biélorussie (article 32), Bulgarie (article 46), Croatie (article 62), Hongrie (article L.1), Lettonie (article 110), Lituanie (article 38), Moldavie (article 48.2), Monténégro (article 71), Pologne (article 18), Serbie (article 62), Slovaquie (article 41) et Ukraine (article 51). Les cas les plus récents sont la Hongrie en 2012, la Croatie en 2013, la Slovaquie en 2014. La Macédoine a entamé en 2014 le processus de modification de sa Constitution en ce sens. Le rapport de forces politiques n'est donc pas favorable au mariage entre personnes de même sexe.
Deux articles de la Convention européenne des droits de l'homme touchent au mariage : l'article 12, qui consacre le droit de se marier et de fonder une famille, et l'article 8 qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. Contrairement aux autres dispositions qui garantissent des droits à « toute personne », l'article 12 de la Convention mentionne expressément « l'homme et la femme ». Il garantit le droit pour un homme et une femme d'âge nubile de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales en régissant l'exercice.
Comme la Convention, tous les instruments internationaux qui protègent le droit de se marier précisent que les titulaires en sont l'homme et la femme et le lient expressément a la fondation de la famille, élément naturel et fondamental de la société, en précisant que celle-ci a droit à la protection de la société et de l'État4, y compris sa protection économique, juridique et sociale5.
Pour qu'une loi nouvelle restaurant la définition du mariage comme l'union exclusive entre un homme et une femme entraîne la condamnation de la France, il faudrait considérer qu'une telle définition stricte du mariage serait en elle-même contraire à la Convention, ce qui n'est pas le cas puisqu'elle correspond à celle donnée par la Convention et le droit international. Néanmoins, la Cour serait attentive aux conséquences du changement, qui ne doivent pas porter atteinte de façon injustifiée aux droits des personnes affectées, ce qui peut nécessiter l'adoption de certaines mesures d'accompagnement. Plus généralement, la définition du mariage est une question de nature politique bien plus que juridique. La portée des arguments juridiques tendant à limiter la liberté des gouvernements doit être d'autant plus relativisée que cette question divise politiquement l'Europe, restreignant d'autant la faculté des institutions européennes d'imposer aux États un choix particulier.
L'inanité des obstacles liés au droit au mariage
Pour qu'un retour à la législation antérieure soit impossible, il faudrait que cette législation soit elle-même devenue illégale, c'est-à-dire que le droit au mariage entre personnes de même sexe soit désormais garanti par la Convention, ce qui n'est pas le cas.
Même si elle fait évoluer l'interprétation de la Convention selon sa perception de l'évolution sociale, la Cour ne peut aller contre la lettre de la Convention et la volonté de ses rédacteurs. Il faudrait pour cela l'accord exprès de l'ensemble des États membres. En revanche, on peut se demander si la définition asexuée du mariage est compatible avec le droit européen et international.
La Convention ne garantit qu'à l'homme et à la femme le droit de se marier et de fonder une famille
Selon l'article 12 de la Convention, «À partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ». Ce droit est si limpide que les travaux préparatoires sont muets pour ce qui le concerne6. Comme l'a souligné la Cour à plusieurs reprises : « Dans les années 1950, le mariage était à l'évidence compris au sens traditionnel d'union entre deux personnes de sexe différent ».
Pendant une période, la Cour a été tentée par une « interprétation évolutive7 » sur la question du mariage. Elle a ainsi expliqué dans l'arrêt Schalk et Kopf que : « la Cour ne considère plus que le droit de se marier consacré par l'article 12 de la Convention doive en toutes circonstances se limiter au mariage entre deux personnes de sexe opposé8 ». Elle concédait cependant qu'elle « ne doit pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales9 ». Même si elle concluait que, en l'état actuel des choses, « l'article 12 n'impose pas au gouvernement défendeur l'obligation d'ouvrir le mariage à un couple homosexuel», elle semblait ouvrir la voie à un changement de définition du mariage.
Néanmoins, la Cour est intégrée dans un ensemble d'institutions politiques. Elle ne peut donc faire abstraction d'un certain nombre de réalités et doit prendre en compte les contingences politiques dans ses jugements, c'est pourquoi elle paraît aujourd'hui avoir renoncé à faire évoluer son interprétation du droit au mariage. Le 16 juillet 2014, dans l'arrêt Hàmàlàinen c. Finlande (16 juillet 2014) la Grande Chambre a donné une réponse qui dans sa formulation se présente comme définitive, en indiquant que ni l'article 8 ni l'article 12 de la Convention ne garantissent le droit au mariage entre personnes de même sexe. Elle a affirmé que : « l'article 8 de la Convention ne peut être compris comme imposant aux États contractants l'obligation d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels » (§ 71). Elle a précisé ensuite que : « le droit fondamental pour un homme et une femme de se marier et de fonder une famille » garanti à l'article 12 « consacre le concept traditionnel du mariage, à savoir l'union d'un homme et d'une femme ». La Grande Chambre a ajouté : « S'il est vrai qu'un certain nombre d'États membres ont ouvert le mariage aux partenaires de même sexe, l'article 12 ne saurait être compris comme imposant pareille obligation aux États contractants » (§ 96). Il est donc parfaitement clair qu'il n'existe pas de droit au mariage entre personnes de même sexe au titre de la Convention, même interprétée « à la lumière des conditions actuelles" » : les États membres n'ont pas l'obligation de le légaliser.
En 2011, la Commission de Venise a été appelée à se prononcer sur la constitutionnalisation du mariage entre un homme et une femme en Hongrie12. Citant l'arrêt Schalk et Kopf, qui reconnaît « qu'il n'existe pas de consensus européen sur la question du mariage homosexuel » (§ 58), ainsi que l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui affirme que : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice13 », la Commission de Venise a conclu que la définition du mariage relevait de la compétence nationale. Elle a aussi noté que, si les couples de personnes de même sexe ne pouvaient se marier, ils bénéficiaient de la faculté de conclure un partenariat enregistré. Elle a confirmé cette position dans son opinion n° 779 du 25 septembre 2014 au sujet de la Macédoine (CDL-AD(2014)026).
De même, en mars 2014, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe s'est référé à la conclusion de l'arrêt Schalk et Kopf pour s'accorder sur le fait que : « l'interdiction du mariage de personnes de même sexe en Croatie'4 » ne pose pas de problème, en réponse à la question écrite n° 647 de M. Mogens Jensen. Le Comité des ministres a noté en outre l'intention du Gouvernement de la Croatie d'introduire un statut de partenariat civil, ce qui a été réalisé depuis.
D'aucuns soutiennent que la redéfinition asexuée du mariage serait une extension du droit au mariage et qu'une restauration de sa définition hétérosexuelle serait une limitation ultérieure de ce droit donc ne saurait être admise. Ils invoquent notamment à titre de comparaison l'abolition de la peine de mort ou la dépénalisation de l'avortement. Ceci ne tient pas pour plusieurs raisons. D'abord, la peine de mort et l'avortement sont des exceptions au droit à la vie. Il s'agit donc dans un cas de supprimer une exception, dans l'autre d'en créer une, mais cela ne porte pas atteinte à la substance du droit : la définition de la vie n'est pas modifiée. Au contraire, estimer qu'un mariage peut être réalisé par deux personnes de même sexe n'est pas une extension du droit au mariage mais un changement radical de sa substance, car l'altérité sexuelle est constitutive du mariage.
D'autre part, la peine de mort a été abolie progressivement dans tous les pays d'Europe puis interdite par la Convention elle-même à travers les Protocoles 6 (1983) et 13 (2002). Certes les États ne peuvent la rétablir mais ils ont expressément consenti à être liés par cette interdiction. La conventionalité d'un acte ne dépend pas de sa légalité ou de son illégalité dans l'ordre interne. C'est particulièrement vrai s'agissant du mariage ; la Cour reconnaît d'ailleurs que : « Le fait qu'un pays occupe, à l'issue d'une évolution graduelle, une situation isolée quant à un aspect de sa législation n'implique pas forcément que pareil aspect se heurte à la Convention, surtout dans un domaine - le mariage - aussi étroitement lié aux traditions culturelles et historiques de chaque société et aux conceptions profondes de celle-ci sur la cellule familiale15 ». De même, ce n'est pas parce que de nombreux États ont progressivement admis l'avortement sous certaines conditions qu'il en serait devenu un droit protégé par la Convention16. Des États peuvent maintenir leur choix de donner une importance primordiale au droit à la vie de l'enfant à naître, comme l'Irlande ou Malte, ou même restreindre l'accès à l'avortement comme l'ont fait de nombreux pays d'Europe de l'Est depuis la chute du communisme (Pologne, Hongrie, Russie, Macédoine...) mais aussi la Norvège qui a réduit le délai légal en janvier 2014.
La redéfinition asexuée du mariage viole-t-elle la définition du mariage en droit européen et international ?
Comme il a déjà été souligné, les différents traités internationaux protègent « indissolublement17 » le droit se marier et de fonder une famille dans les mêmes termes que la Convention. Des organes juridictionnels ou semi-juridictionnels de l'Union européenne ou des Nations unies ont confirmé qu'ils visaient l'union d'un homme et d'une femme. Ainsi, selon la Cour de Luxembourg, « il est constant que le terme de "mariage", selon la définition communément admise par les États membres, désigne une union entre deux personnes de sexe différent'8». De même, le Comité des droits de l'homme des Nations unies, chargé de veiller au respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a estimé que le droit de se marier et de fonder une famille garanti à l'article 23 § 2 du Pacte doit être compris comme volontairement et exclusivement réservé à l'homme et à la femme, car il s'agit de « la seule disposition de fond qui définit un droit en employant les termes "l'homme et la femme", plutôt que "tout être humain", "chacun" et "toutes les personnes" ». En outre, cet article « a été régulièrement et uniformément interprété comme signifiant que l'obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 2 de l'article 23 du Pacte se limite à reconnaître comme constituant un mariage l'union entre un homme et une femme qui souhaitent se marier'9 ». Ceci est conforme à l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui précise qu'un « traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes ».
La question de la compatibilité de la redéfinition asexuée du mariage avec le droit international mérite d'être posée. Il doit être noté tout d'abord que la Cour de Strasbourg ne s'est jamais prononcée directement sur cette question. Elle s'est bornée à constater que certains pays légalisent cette pratique.
La réponse à cette question varie selon que l'on estime que le droit conventionnel contient ou non une définition du mariage. Dans le premier cas, cette redéfinition dans l'ordre interne enfreint la définition conventionnelle, dans le second, elle étend seulement la portée du droit dans l'ordre interne au-delà des exigences conventionnelles, qui ne constitueraient alors que des garanties minimales. Cette appréciation dépendrait à son tour de la fonction du mariage dans la société : si le mariage est la reconnaissance sociale de l'union de deux individus, alors la redéfinition asexuelle du mariage étend sa portée ; en revanche si le mariage est l'institution visant à accueillir la fondation et le développement d'une famille comme cellule fondamentale et naturelle de la société20, alors cette redéfinition nationale heurte la définition conventionnelle du mariage car deux personnes de même sexe ne peuvent pas fonder naturellement une véritable famille. Il faut noter à cet égard que la communauté internationale maintient avec constance qu'il n'existe en droit international que « la famille », toutes les tentatives pour lui substituer l'idée d'une pluralité de modèles familiaux ayant été rejetées.
En garantissant le droit de l'homme et de la femme de se marier ensemble et de fonder une famille, le droit européen et international ne fait pas que décrire les titulaires d'un droit (subjectif) au mariage, il définit le mariage comme l'institution sociale au sein de laquelle les couples sont invités à fonder leur famille. En cela, le droit international et européen contient bien une définition du mariage. L'obligation pour la société de proposer l'institution du mariage aux couples résulte de son obligation première et fondamentale de protéger la famille, cellule fondamentale et naturelle de la société.
Estimer que le texte du droit conventionnel de se marier et de fonder une famille ne contiendrait pas une définition juridique du mariage mais seulement des garanties minimales implique non seulement la conventionalité du « mariage homosexuel », mais aussi celles de toutes les autres formes de mariages, comme la polygamie, l'inceste et le mariage avec des enfants, qui seraient alors autant d'extensions de la portée du droit au mariage. Selon cette approche, la Convention ne saurait empêcher un gouvernement européen de légaliser la polygamie. La question serait alors la même que concernant le « mariage homosexuel » : un gouvernement suivant aurait-il la faculté d'abroger cette loi et de restaurer le mariage dans sa définition monogame originale sans violer les droits conventionnels des personnes déjà engagées dans un mariage polygame ou désireuses de s'y engager ?
La Cour exerce son contrôle sur les conséquences du changement législatif
La Cour ne peut s'opposer au choix, en soi, d'un État de définir le mariage comme l'union exclusive d'un homme et d'une femme, elle ne peut davantage imposer aux États l'obligation nouvelle de définir le mariage autrement que tel qu'il est défini et garanti dans la Convention. En revanche, dès lors qu'un changement législatif vient modifier les conditions d'exercice du mariage, il est probable que la Cour exercera son contrôle sur la conventionalité des conséquences de cette modification, bien que la Convention réserve au droit national la détermination des modalités d'exercice du droit au mariage.
Le mariage, compétence des États
Tant la Convention européenne que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne précisent que l'exercice du droit au mariage est régi par les lois nationales. Une telle disposition, unique dans la Convention, constitue une réserve nationale de compétence et devrait entraîner l'incompétence de la Cour dans l'appréciation des modalités d'exercice du droit au mariage, limitant la compétence de la Cour à la garantie de la substance du droit consacré à l'article 12, c'est-à-dire le droit de l'homme et de la femme, à partir de l'âge nubile, de se marier ensemble et de fonder une famille. La Cour a en effet jugé que l'État peut poser des conditions légales à l'exercice du droit de se marier, ces conditions ne doivent toutefois pas restreindre ou réduire ce droit « à un degré qui
l'atteindraient dans sa substance même21 » ; le pouvoir de l'État n'est donc pas illimité22 et vise les conditions usuelles en Europe23. Par exemple, se prononçant sur l'interdiction du divorce, la Cour a estimé que bien que constituant une limitation à la capacité de se (re) marier, « pareille limitation ne saurait (...) passer pour une atteinte à la substance même du droit garanti par l'article 12 » de la Convention24.
Selon l'interprétation stricte de l'article 12, la Cour ne pourrait ainsi censurer que les restrictions abusives portées par le droit interne à rencontre de la volonté de couples de personnes de sexes opposés de se marier et de fonder une famille. C'est ce qu'elle a fait s'agissant de certains empêchements au mariage25 : la Cour ne garantit que la substance du droit de se marier et de fonder une famille, c'est-à-dire son cœur même. Ainsi, la Convention ne garantit pas avec la même force tous les aspects du droit de se marier et de fonder une famille.
À supposer que l'article 12 ne contienne pas une définition (hétérosexuelle et monogame) du mariage, la décision de permettre à des personnes impliquées dans d'autres types de relations de se marier relève de la compétence réservée par la Convention au droit interne. Il en résulte que si le mariage entre personnes de même sexe entre dans le champ d'application de l'article 12, cette modalité de mariage n'atteint pas la substance même du droit conventionnel, elle ne bénéficie pas de la garantie, mais relève uniquement des modalités nationales d'exercice du droit de se marier et de fonder une famille.
Dès lors, le législateur national conserve une libre compétence pour modifier les conditions régissant l'exercice du droit relatif au mariage en tout ce qui échappe à la substance de ce droit définie dans la première partie de l'article 12.
C'est d'ailleurs une règle générale, dans tout le champ d'application de la Convention, que le législateur peut changer la loi dans le sens qui lui convient selon les circonstances. La Cour l'a toujours reconnu : « Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est "d'utilité publique". (...) Estimant normal que le législateur dispose d'une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de /'"utilité publique" sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable26 ». En outre, « Lorsque des questions de politique générale sont enjeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d'accorder une importance particulière au rôle du décideur national27 ». Dans les domaines soulevant des questions morales et éthiques délicates, surtout lorsqu'il n'y a pas de communauté de vue entre les États, la Cour leur reconnaît une large marge
d'appréciation28. Elle devrait limiter en conséquence la portée de son contrôle plus encore en une matière qui, comme en l'espèce, fait l'objet d'une réserve explicite de compétence nationale.
Ainsi donc, à l'égard des droits garantis par la Convention, le rôle de la Cour demeure subsidiaire par rapport aux autorités nationales. Par le quinzième protocole additionnel (du 24 juin 2013), les gouvernements européens ont d'ailleurs souhaité en imposer davantage le respect par la Cour en introduisant dans le préambule de la Convention européenne la référence explicite au principe de subsidiarité et à la marge d'appréciation qui lui est associée. Ce protocole a toutefois surtout une valeur incantatoire, car le respect du principe de subsidiarité demeure soumis au bon vouloir des juges.
Cela étant, la Cour devrait respecter d'autant plus la liberté des États, au-delà de la subsidiarité et de la marge d'appréciation, dans un domaine dont la Convention prévoit explicitement qu'il demeure régit par les lois nationales, comme en la matière.
Ainsi, au regard de l'article 12 de la Convention, le législateur français pourrait donc sans crainte décider de rétablir le mariage comme l'union exclusive d'un homme et d'une femme, car cela relève de sa compétence nationale et ne heurte pas la substance du droit garanti. Un tel choix, correspond en outre à la définition du mariage en vigueur depuis l'Antiquité, dans le droit international et à la situation dans la grande majorité des États membres du Conseil de l'Europe. Si la Cour entreprenait d'en juger la légitimité au regard de l'article 12, elle ne pourrait pas raisonnablement considérer ce choix comme dépourvu de base raisonnable ou comme portant atteinte à la substance du droit de se marier garanti par la Convention.
Il s'agit cependant là de principes que la Cour rappelle régulièrement mais qu'elle n'hésite pas à contredire lorsque le législateur adopte des positions qui lui déplaisent. Même si la Cour est censée respecter la subsidiarité et faire preuve de retenue, elle outrepasse fréquemment sa compétence, en particulier s'agissant de questions de société, allant jusqu'à condamner des dispositions confirmées par référendum29. La Cour étant particulièrement sourcilleuse au sujet de différences fondées sur l'orientation sexuelle30, il est certain qu'elle examinera très attentivement la question.
Ainsi, la restauration du mariage ne se heurte pas aux exigences propres de l'article 12. Ce constat n'épuise cependant pas l'analyse, car encore faut-il que les modalités de cette restauration respectent les exigences des articles 8 et 14 tels qu'interprétées extensivement par les juges de Strasbourg.
L'extension de la protection aux questions « tombant sous l'empire » de la Convention au regard des articles 8 et 14
Autrefois, il aurait suffi de constater que le droit au mariage ne bénéficie pas aux personnes de même sexe au titre de l'article 12 pour conclure à l'absence de violation de la Convention d'une loi supprimant cette faculté. Ce n'est plus le cas à présent, car la Cour a étendue la portée de son contrôle sur les matières qui ne relèvent qu'indirectement, voire même de façon éloignée, de la Convention.
La Cour a d'abord rendu l'applicabilité de l'article 14 proscrivant les discriminations quasiment autonome. En effet, même lorsque la Convention ne garantit pas un droit- comme le mariage entre personnes de même sexe - la Cour fait application de l'article 14 lorsque la matière en cause entre dans le champ d'application d'une disposition conventionnelle31. Suivant cette application extensive de l'article 14, il suffirait à la Cour d'estimer que la restauration du mariage affecte les droits de personnes dans le champ de l'article 12 pour que l'article 14 soit applicable. Ainsi, alors même que la Convention ne contient pas de droit au mariage entre personnes de même sexe, les effets de sa suppression devraient respecter le principe de non-discrimination. En outre, suivant la même logique, la Cour a condamné des États au motif que leur législation interne ne répondait pas à ses attentes, leur reprochant un manque de cohérence et de précision du droit sur des matières qui ne constituent pourtant pas des droits conventionnels (par exemple en matière d'euthanasie, de procréation médicalement assistée ou d'avortement32).
Bien que l'article 12 soit la lex specialis en matière de mariage, il est possible que la Cour juge que l'impossibilité pour une personne de se marier entrerait aussi dans le champ du droit au respect à la vie privée et familiale garanti à l'article 8. Cela rendrait encore applicable à ces mesures l'interdiction des discriminations prévue à l'article 14.
Quant à savoir si l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 créerait pour certaines personnes une ingérence dans leurs droits garantis à l'article 8 et en constituerait une violation, cela dépend des modalités de ladite abrogation. En présence d'une ingérence, il appartiendrait au gouvernement de prouver que celle-ci est prévue par la loi, qu'elle poursuit un but légitime et qu'elle est proportionnée à ce but.
Le premier point ne pose évidemment aucun problème : c'est bien une loi qui abrogera le nouvel article 143 du Code civil ou qui en supprimera les mots « ou de même sexe ». Le but légitime devra être clairement énoncé dans l'exposé des motifs de la loi ; il nécessite une définition du mariage comme institution sociale et non pas comme droit subjectif, c'est-à-dire comme institution ayant pour objet principal de protéger la famille et d'organiser ses relations avec la société. En cela, le législateur peut s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour qui reconnaît le mariage comme « une institution qui s'inscrit dans le cadre de la société33 » et la légitimité des mesures visant la « protection de la famille traditionnelle », même si cet objectif peut être mis en balance avec d'autres considérations34. La Cour a indiqué que : « le mariage et la famille sont étroitement associés dans la Convention comme dans les droits nationaux35 », que : « le mariage est dans tous les États signataires de la Convention l'institution reconnue qui entraîne la fondation d'une famille »16 et que par conséquent : « le but poursuivi [par l'article 12] consiste essentiellement à protéger le mariage
en tant que fondement de la famille37 ». Le mariage permet aussi de garantir à l'enfant une filiation à l'égard de son père et de sa mère. Il l'inscrit dans une lignée, une histoire familiale, lui donnant une part essentielle de son identité, et lui assure la stabilité et la sécurité nécessaires à son développement.
Le second but poursuivi en réservant le mariage aux couples de personnes de sexes opposés est la protection des enfants, en particulier au regard de la faculté offerte par la loi du 17 mai 2013 aux couples de même sexe d'adopter un enfant. Cet argument vise la protection de l'enfance et repose sur le fait qu'il est préférable pour un enfant d'être élevé dans un environnement aussi proche que possible d'une famille naturelle, et donc avec un père et une mère, plutôt que par deux adultes de même sexe. Cet argument repose aussi sur le fait que la loi du 17 mai 2013 a, de fait, encouragé le recours à la PMA et à l'adoption au sein des couples de femmes, encourageant ainsi la conception d'enfants délibérément privés de leur père. Cet argument de bon sens, largement soutenu dans l'opinion publique, est très fort et déterminant dans la volonté de revenir sur la loi du 17 mai 2013. Il est conforme aussi à la recommandation 18 du Comité des Droits de l'enfant des Nations unies qui souligne que : «les filles comme les garçons ont besoin de personnes des deux sexes sur qui prendre modèle33 ».
Cet argument s'oppose toutefois à un arrêt39 par lequel la Cour a condamné l'Autriche pour ne pas avoir permis l'adoption co-parentale homosexuelle. Dans cet arrêt, la Cour a fait du scepticisme une norme en affirmant que le Gouvernement n'avait pas «présenté d'arguments précis, d'études scientifiques ou d'autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les familles homoparentales ne peuvent en aucun cas s'occuper convenablement d'un enfant » (§ 142), ni établi «qu'Userait préjudiciable pour un enfant d'être élevé par un couple homosexuel ou d'avoir légalement deux mères ou deux pères »(§ 146). La Cour a trouvé une discrimination en ce que l'adoption co-parentale est ouverte en Autriche aux concubins de sexe opposé (c'est cette différence avec la situation française qui a conduit à une solution différente de l'arrêt Cas et Dubois c. France, précit). Cet arrêt demeure isolé et controversé, car adopté par seulement dix voix contre sept, il peut donc être renversé, d'autant plus qu'il existe des études scientifiques40 qui indiquent que les couples hommes-femmes offrent un meilleur environnement pour les enfants que les couples homosexuels.
Un troisième but légitime serait d'éviter l'encouragement au détournement des lois françaises en matière de PMA-GPA à l'étranger. Ces pratiques n'ont pas été autorisées par la loi du 17 mai 2013 mais la possibilité (voire l'obligation) de les entériner a posteriori encourage la fraude à la loi. En outre, les liens entre la PMA, la GPA et la traite des femmes et des enfants sont de mieux en mieux établis et la Cour elle-même les a reconnus41. Une nouvelle fois la jurisprudence de la Cour affaiblit cet argument, puisqu'elle regarde favorablement la faculté de contourner la loi nationale en ayant recours à l'étranger à des techniques interdites dans le pays42 et exige la transcription des filiations établies à l'étranger43. Pour la Cour, cette faculté de contourner impunément la loi nationale a la vertu de modérer l'interdiction légale de pratiques et par conséquent, de réduire d'autant l'ingérence dans les droits individuels causée par cette interdiction44.
Admettant la légitimité des buts poursuivis par l'abrogation de la loi du 17 mai 2013, la Cour examinerait ensuite « s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé45 ». Pour la Cour, l'ingérence ne doit pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour atteindre la finalité recherchée. Il est donc nécessaire que le but de la loi soit expressément indiqué. Si le mariage vise en premier lieu la sécurité de la filiation et le fondement de la famille, les couples de personnes de même sexe sont dans une situation radicalement différente des couples de personnes de sexes opposés au regard de la procréation, ce qui justifie de réserver le mariage aux derniers. Le résultat de l'examen de proportionnalité dépendra des modalités de l'abrogation.
Plusieurs modalités d'abrogation sont possibles. Chacune doit faire l'objet d'un examen particulier au regard de ses effets.
En toutes hypothèses, l'abrogation supprimerait pour l'avenir la faculté de « mariage homosexuel » et par voie de conséquence celle qui lui est attachée d'adoption de l'enfant du conjoint. Concernant la faculté de se marier, nous avons vu qu'elle n'est garantie qu'aux couples homme-femme ; il est donc possible de supprimer cette faculté pour l'avenir. Concernant la faculté d'adoption, la Cour a déjà jugé dans l'affaire Gas et Dubois qu'il n'est pas contraire à la Convention de réserver aux couples mariés la faculté d'adopter l'enfant du conjoint, et que la définition du mariage peut légitimement entraîner la détermination des titulaires de la faculté d'adopter l'enfant du conjoint. La Cour admet ainsi que la faculté d'adopter l'enfant du conjoint soit une conséquence exclusive du mariage. Ainsi, la faculté de restaurer la définition du mariage emporte celle d'exclure les personnes non mariées de la possibilité d'adopter l'enfant de leur compagnon, sans constituer en soi une discrimination.
S'agissant des effets d'une abrogation de la loi du 17 mai 2013 sur le passé, c'est-à-dire des mariages et adoptions déjà prononcées, l'option de l'annulation pure et simple des mariages déjà conclus n'est pas possible, car ces mariages ont été contractés légalement. La situation était différente en Australie, où la Haute Cour a invalidé le 12 décembre 2013 la loi sur le « mariage homosexuel » adoptée dans le territoire de Canberra, entraînant l'annulation des mariages célébrés dans l'intervalle.
Il serait possible de laisser subsister les mariages existants, tout en refusant la célébration de nouveaux mariages. Les droits individuels acquis seraient ainsi conservés, et conciliés avec l'intérêt général. Deux difficultés subsisteraient toutefois. D'abord, même si la différence de régime juridique selon les règles d'application de la loi dans le temps paraît une conséquence normale d'un changement de loi, la Cour pourrait y voir une discrimination4'' entre les couples de même sexe qui auront pu se marier et ceux qui ne le pourront plus. Ensuite, se poserait la question de l'adoption après l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 par dos couples homosexuels déjà mariés, même si le nombre de cas serait limité.
L'arrêt Hàmàlàinen du 16 juillet 2014 (précité) permet d'envisager une mesure répondant au problème de transition : la transformation par effet de la loi des mariages déjà conclus en partenariats enregistrés, ou PACS. Cette mesure est prévue par exemple en Finlande (qui n'accepte pas le « mariage homosexuel ») en cas de changement légal de sexe d'un des époux. La Cour a jugé que cette transformation n'était pas contraire à la Convention car le but de protéger le mariage est légitime et : « les différences entre mariage et partenariat enregistré [dans le droit finlandais] ne sont pas de nature à entraîner un changement substantiel dans la situation juridique de la requérante » (§ 83) et : « la relation juridique initiale se poursuit simplement sous une dénomination différente et avec un contenu légèrement modifié » (§ 84). Elle n'affecterait pas les filiations déjà établies ni les responsabilités parentales des intéressés. Elle n'aurait « pas d'effets ou n'emporterait que des effets minimes sur la vie familiale» des intéressés (§ 89), donc ne violerait pas l'article 8, ni l'article 14. Une telle mesure, appliquée en France, permettrait de réduire les effets de l'abrogation aux mesures strictement nécessaires pour atteindre le but poursuivi.
Ainsi, afin de satisfaire aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les différences entre les régimes du partenariat et du mariage devraient découler strictement des différences de finalités spécifiques entre chaque statut : la fondation d'une famille pour le mariage, l'organisation de la vie conjointe pour l'union civile. Le Pacte civil de solidarité (PACS) est une reconnaissance sociale du couple, mais les partenaires ne prennent pas d'engagement durable l'un envers l'autre ni à l'égard de la société, ce qui justifie une protection plus limitée. Le mariage protège le couple en tant que fondement durable de la famille. Toutes les dispositions concernant la filiation mais aussi celles liées à l'engagement à l'égard de la société, à la génération et à l'éducation des enfants, peuvent donc lui être réservées, y compris les mesures fiscales favorables.
S'agissant de la situation des enfants déjà adoptés, l'intérêt des enfants peut plaider dans le sens d'un statut quo. Néanmoins, considérant qu'une filiation adoptive non vraisemblable est imposée à l'enfant, la loi pourrait ouvrir à l'enfant une voie d'action exceptionnelle en annulation de l'adoption.
Un pronostic certain sur la réaction de la Cour à l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 est impossible, d'une part parce que les modalités en sont inconnues, d'autre part parce que la Cour peut trouver dans sa jurisprudence de quoi étayer des positions contraires .Ce qui est sûr, c'est que la Convention ne garantit pas le mariage entre personnes de même sexe et que la Cour est très sensible aux discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. Par ailleurs, elle n'hésite pas à revenir même sur des droits individuels acquis, des situations juridiques existantes, lorsqu'elle estime que d'autres intérêts le justifient, comme dans l'affaire Fabr/s49 où la Cour a reproché à la France de ne pas avoir appliqué la nouvelle loi à une situation antérieure acquise, ou l'affaire Cichopek50, où elle a admis une loi qui amputait la pension de retraite de certains fonctionnaires de 20 à 50 % de son montant. Même si certains juges sont portés à l'activisme judiciaire, la Cour doit respecter les décisions des autorités nationales, en particulier du législateur, et elle a été fermement rappelée à l'ordre sur le principe de subsidiarité par les États lors des conférences interministérielles de Interlaken et de Brighton dans le cadre du processus actuel de réforme de la Cour.
Au regard de la CEDH, l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 est possible dans le cadre d'une révision du régime du PACS, à condition de clairement définir et distinguer les finalités spécifiques du mariage et de l'union civile.
Video-entretien : Claire de la Hougue
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Résumé
La promotion au niveau constitutionnel du mariage et de la famille passe par plusieurs voies juridiques, au fond etd'unpointde vue procédural. Une solution minimale consiste à ajouter certains articles essentiels confirmant la compétence du législateur en matière familiale, en précisant que cette législation doit partir d'un principe de mariage homme/femme, ou encore en inscrivant le principe de dignité de la personne humaine dans le préambule de 1946. Une solution plus forte consiste à adosser au texte de la Constitution une « Charte constitutionnelle de la famille », sur le modèle de ce qui a été fait en 2005 pour la Charte de l'environnement. Les voies procédurales de la révision constitutionnelle sont multiples. La Constitution permet ainsi de solliciter le Congrès ou le peuple français, afin de donner une légitimité incontestable à ces réformes essentielles.
Il peut y avoir plusieurs avantages à monter d'une marche dans la hiérarchie des normes en constitutionnalisant la définition du mariage.
Le premier avantage est de l'ordre de l'affichage, de la communication, puisqu'il faut bien admettre que la Constitution est aujourd'hui devenue un instrument de communication politique.
Le deuxième avantage d'une révision constitutionnelle est utilitaire. Puisque le Conseil constitutionnel juge que la Constitution actuelle n'interdit pas de dénaturer le mariage et la filiation, il serait prudent de le mettre à l'abri des changements de majorité en hissant sa définition au rang constitutionnel, de façon à la rendre « inaltérable », selon la formule de Thomas Jefferson.
Le Conseil constitutionnel, en effet, non seulement aurait pu, mais aurait dû juger que la définition hétérosexuelle du mariage était déjà un principe à valeur constitutionnelle.
En effet, le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution de 1958, consacre la catégorie des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » dont le Conseil constitutionnel considère de façon constante qu'il s'agit des principes essentiels consacrés par des lois républicaines antérieures à 1946 et auxquels il reconnaît donc une valeur constitutionnelle. Or, dans une décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, il a d'abord posé « qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ». Le Conseil a donc bien qualifié la définition hétérosexuelle du mariage de « principe » et nul ne peut contester qu'il s'agit d'un principe tout à fait essentiel constamment consacré par la législation républicaine depuis l'origine jusqu'à nos jours. Incontestablement donc, nous étions en présence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c'est-à-dire d'un principe constitutionnel auquel il n'était possible de déroger que par une révision de la Constitution.
Or dans sa décision du n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 sur la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le Conseil, gêné par cet argument imparable qu'il n'avait pas vu venir, a tout simplement déclassé la norme en cause pour la faire descendre du statut de « principe » à celui de « règle » en indiquant « que, si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme, cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l'organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du préambule de 1946 ». Autant dire que le Conseil constitutionnel a délibérément triché en reniant sa qualification antérieure de façon à pouvoir écarter l'argument des parlementaires et à pouvoir valider l'insensé « mariage pour tous ».
De la même façon, le Conseil a écarté tous les arguments invoqués contre l'adoption par des personnes de même sexe, de telle sorte que si l'on veut désormais « blinder » l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 en empêchant le législateur ordinaire de la rétablir à l'avenir, il n'y a d'autre choix que de graver explicitement le mariage et la famille naturels dans la Constitution.
Il reste alors à déterminer deux choses : que faut-il exactement mettre dans la Constitution et comment rédiger et formaliser cette constitutionnalisation ? Et quelle procédure utiliser pour y parvenir ?
Comment rédiger et présenter la promotion constitutionnelle du mariage et de la famille ?
Pour affermir les fondations familiales, il conviendrait donc d'abord de les mettre hors de portée du législateur ordinaire, c'est-à-dire des majorités politiques passagères, en les ancrant dans la Constitution.
Deux solutions sont envisageables pour constitutionnaliser la définition du mariage et de la famille : soit on adosse une « charte de la famille » au préambule de la Constitution, dans laquelle on intègre un certain nombre de principes que l'on souhaite voir consacrer, soit on se contente d'une révision plus discrète et cosmétique consistant à rajouter simplement quelques précisions indispensables dans des articles existants de la Constitution.
La solution maximale : une charte constitutionnelle de la famille
Le procédé de la charte « adossée » à la Constitution a déjà été utilisé par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement. Cette loi constitutionnelle contient un article 1er indiquant : « Le premier alinéa du préambule de la Constitution est complété par les mots : "ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004" ».
Le préambule de la constitution de 1958 commence donc désormais ainsi: "Le peuple français proclame son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils sont définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ».
Et l'article 2 de la loi constitutionnelle ajoute : «La Charte de l'environnement de 2004 est ainsi rédigée : (...) », suit le texte de la Charte, elle-même composée d'un sous-préambule et de dix articles. Nos juridictions ont considéré que tous les articles de la Charte sans exception avaient pleine valeur constitutionnelle et le préambule de la Charte indique déjà « Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ». L'écologie humaine qui inspire déjà cette charte constituerait donc un bon trait d'union avec une charte de la famille.
L'on pourrait donc imaginer compléter à nouveau le préambule par la formule «ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 et dans la Charte de la famille de 2005 ».
Cette formule pourrait satisfaire ceux qui sont favorables à la constitutionnalisation de plusieurs principes et droits civils fondamentaux dont ils voudraient détailler un peu la teneur, sur le modèle de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant. Comme la Charte constitutionnelle de l'environnement énonce plusieurs principes tels que la prévention, la précaution, la réparation, la conciliation, la participation, l'éducation et la formation, on pourrait aussi introduire dans la Charte de la famille, par exemple, outre la définition naturelle du mariage, la nécessité de faire prévaloir l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions familiales, son droit à connaître ses père et mère et, dans la mesure du possible, à être éduqué par eux (#Article7UNICEF), le principe de réservation de la procréation assistée aux « couples hétérosexuels » en âge de procréer et affectés d'une stérilité médicalement constatée, etc. L'on pourrait ainsi inscrire dans la Charte que la famille, composée d'un homme et d'une femme et de leurs enfants, est l'élément fondamental de la société que la Nation a le devoir de protéger. Il conviendrait aussi d'énoncer que l'enfant, né d'un père et d'une mère, a droit à la protection de ses parents jusqu'à sa majorité et que l'État veille à donner à ceux-ci les moyens d'y concourir. Il faudrait également y rappeler que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme en âge nubile, contractée en vue en vue de fonder librement une famille, tout en ajoutant que la loi peut prévoir, dans le respect des principes constitutionnels, d'autres formes d'union civile pour régler les modalités de la vie commune.
D'autres voudront sans doute aller plus loin encore en constitutionnalisant dans la Charte certaines règles sociales et fiscales comme l'universalisme des allocations ou l'impôt nataliste. L'avantage de la Charte familiale « adossée » au préambule est donc de permettre d'inscrire un ensemble de normes plus complet que dans des retouches portant sur quelques articles.
Mais cette solution maxima a aussi ses défauts et ses dangers. Une constitution ne gagne
pas à la surcharge pondérale et, surtout, le poids et la taille d'un tel texte serait susceptible
d'effaroucher des décideurs politiques déja peu courageux. Plus c'est important et
complexe, plus cela suscite d'opposition et discussions et plus c'est généralement difficile
à faire passer. Politiquement, l'on risque aussi d'encourir l'accusation de retour à la trilogie «Travail, famille, patrie» et les adversaires de mauvaise foi ne manqueraient sûrement pas de rappeler les "heures les plus sombres"...
Ainsi, afin de satisfaire aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les différences entre les régimes du partenariat et du mariage devraient découler strictement des différences de finalités spécifiques entre chaque statut : la fondation d'une famille pour le mariage, l'organisation de la vie conjointe pour l'union civile. Le Pacte civil de solidarité (PACS) est une reconnaissance sociale du couple, mais les partenaires ne prennent pas d'engagement durable l'un envers l'autre ni à l'égard de la société, ce qui justifie une protection plus limitée. Le mariage protège le couple en tant que fondement durable de la famille. Toutes les dispositions concernant la filiation mais aussi celles liées à l'engagement à l'égard de la société, à la génération et à l'éducation des enfants, peuvent donc lui être réservées, y compris les mesures fiscales favorables.
S'agissant de la situation des enfants déjà adoptés, l'intérêt des enfants peut plaider dans le sens d'un statut quo. Néanmoins, considérant qu'une filiation adoptive non vraisemblable est imposée à l'enfant, la loi pourrait ouvrir à l'enfant une voie d'action exceptionnelle en annulation de l'adoption.
Un pronostic certain sur la réaction de la Cour à l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 est impossible, d'une part parce que les modalités en sont inconnues, d'autre part parce que la Cour peut trouver dans sa jurisprudence de quoi étayer des positions contraires .Ce qui est sûr, c'est que la Convention ne garantit pas le mariage entre personnes de même sexe et que la Cour est très sensible aux discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. Par ailleurs, elle n'hésite pas à revenir même sur des droits individuels acquis, des situations juridiques existantes, lorsqu'elle estime que d'autres intérêts le justifient, comme dans l'affaire Fabr/s49 où la Cour a reproché à la France de ne pas avoir appliqué la nouvelle loi à une situation antérieure acquise, ou l'affaire Cichopek50, où elle a admis une loi qui amputait la pension de retraite de certains fonctionnaires de 20 à 50 % de son montant. Même si certains juges sont portés à l'activisme judiciaire, la Cour doit respecter les décisions des autorités nationales, en particulier du législateur, et elle a été fermement rappelée à l'ordre sur le principe de subsidiarité par les États lors des conférences interministérielles de Interlaken et de Brighton dans le cadre du processus actuel de réforme de la Cour.
Au regard de la CEDH, l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 est possible dans le cadre d'une révision du régime du PACS, à condition de clairement définir et distinguer les finalités spécifiques du mariage et de l'union civile.
Video-entretien : Claire de la Hougue
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"Plusieurs options constitutionnelles"
par Anne-Marie Le Pourhiet - IF&R
Résumé
La promotion au niveau constitutionnel du mariage et de la famille passe par plusieurs voies juridiques, au fond etd'unpointde vue procédural. Une solution minimale consiste à ajouter certains articles essentiels confirmant la compétence du législateur en matière familiale, en précisant que cette législation doit partir d'un principe de mariage homme/femme, ou encore en inscrivant le principe de dignité de la personne humaine dans le préambule de 1946. Une solution plus forte consiste à adosser au texte de la Constitution une « Charte constitutionnelle de la famille », sur le modèle de ce qui a été fait en 2005 pour la Charte de l'environnement. Les voies procédurales de la révision constitutionnelle sont multiples. La Constitution permet ainsi de solliciter le Congrès ou le peuple français, afin de donner une légitimité incontestable à ces réformes essentielles.
Il peut y avoir plusieurs avantages à monter d'une marche dans la hiérarchie des normes en constitutionnalisant la définition du mariage.
Le premier avantage est de l'ordre de l'affichage, de la communication, puisqu'il faut bien admettre que la Constitution est aujourd'hui devenue un instrument de communication politique.
Le deuxième avantage d'une révision constitutionnelle est utilitaire. Puisque le Conseil constitutionnel juge que la Constitution actuelle n'interdit pas de dénaturer le mariage et la filiation, il serait prudent de le mettre à l'abri des changements de majorité en hissant sa définition au rang constitutionnel, de façon à la rendre « inaltérable », selon la formule de Thomas Jefferson.
Le Conseil constitutionnel, en effet, non seulement aurait pu, mais aurait dû juger que la définition hétérosexuelle du mariage était déjà un principe à valeur constitutionnelle.
En effet, le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution de 1958, consacre la catégorie des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » dont le Conseil constitutionnel considère de façon constante qu'il s'agit des principes essentiels consacrés par des lois républicaines antérieures à 1946 et auxquels il reconnaît donc une valeur constitutionnelle. Or, dans une décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, il a d'abord posé « qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ». Le Conseil a donc bien qualifié la définition hétérosexuelle du mariage de « principe » et nul ne peut contester qu'il s'agit d'un principe tout à fait essentiel constamment consacré par la législation républicaine depuis l'origine jusqu'à nos jours. Incontestablement donc, nous étions en présence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c'est-à-dire d'un principe constitutionnel auquel il n'était possible de déroger que par une révision de la Constitution.
Or dans sa décision du n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 sur la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le Conseil, gêné par cet argument imparable qu'il n'avait pas vu venir, a tout simplement déclassé la norme en cause pour la faire descendre du statut de « principe » à celui de « règle » en indiquant « que, si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme, cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l'organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du préambule de 1946 ». Autant dire que le Conseil constitutionnel a délibérément triché en reniant sa qualification antérieure de façon à pouvoir écarter l'argument des parlementaires et à pouvoir valider l'insensé « mariage pour tous ».
De la même façon, le Conseil a écarté tous les arguments invoqués contre l'adoption par des personnes de même sexe, de telle sorte que si l'on veut désormais « blinder » l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 en empêchant le législateur ordinaire de la rétablir à l'avenir, il n'y a d'autre choix que de graver explicitement le mariage et la famille naturels dans la Constitution.
Il reste alors à déterminer deux choses : que faut-il exactement mettre dans la Constitution et comment rédiger et formaliser cette constitutionnalisation ? Et quelle procédure utiliser pour y parvenir ?
Comment rédiger et présenter la promotion constitutionnelle du mariage et de la famille ?
Pour affermir les fondations familiales, il conviendrait donc d'abord de les mettre hors de portée du législateur ordinaire, c'est-à-dire des majorités politiques passagères, en les ancrant dans la Constitution.
Deux solutions sont envisageables pour constitutionnaliser la définition du mariage et de la famille : soit on adosse une « charte de la famille » au préambule de la Constitution, dans laquelle on intègre un certain nombre de principes que l'on souhaite voir consacrer, soit on se contente d'une révision plus discrète et cosmétique consistant à rajouter simplement quelques précisions indispensables dans des articles existants de la Constitution.
La solution maximale : une charte constitutionnelle de la famille
Le procédé de la charte « adossée » à la Constitution a déjà été utilisé par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement. Cette loi constitutionnelle contient un article 1er indiquant : « Le premier alinéa du préambule de la Constitution est complété par les mots : "ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004" ».
Le préambule de la constitution de 1958 commence donc désormais ainsi: "Le peuple français proclame son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils sont définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ».
Et l'article 2 de la loi constitutionnelle ajoute : «La Charte de l'environnement de 2004 est ainsi rédigée : (...) », suit le texte de la Charte, elle-même composée d'un sous-préambule et de dix articles. Nos juridictions ont considéré que tous les articles de la Charte sans exception avaient pleine valeur constitutionnelle et le préambule de la Charte indique déjà « Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ». L'écologie humaine qui inspire déjà cette charte constituerait donc un bon trait d'union avec une charte de la famille.
L'on pourrait donc imaginer compléter à nouveau le préambule par la formule «ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 et dans la Charte de la famille de 2005 ».
Cette formule pourrait satisfaire ceux qui sont favorables à la constitutionnalisation de plusieurs principes et droits civils fondamentaux dont ils voudraient détailler un peu la teneur, sur le modèle de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant. Comme la Charte constitutionnelle de l'environnement énonce plusieurs principes tels que la prévention, la précaution, la réparation, la conciliation, la participation, l'éducation et la formation, on pourrait aussi introduire dans la Charte de la famille, par exemple, outre la définition naturelle du mariage, la nécessité de faire prévaloir l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions familiales, son droit à connaître ses père et mère et, dans la mesure du possible, à être éduqué par eux (#Article7UNICEF), le principe de réservation de la procréation assistée aux « couples hétérosexuels » en âge de procréer et affectés d'une stérilité médicalement constatée, etc. L'on pourrait ainsi inscrire dans la Charte que la famille, composée d'un homme et d'une femme et de leurs enfants, est l'élément fondamental de la société que la Nation a le devoir de protéger. Il conviendrait aussi d'énoncer que l'enfant, né d'un père et d'une mère, a droit à la protection de ses parents jusqu'à sa majorité et que l'État veille à donner à ceux-ci les moyens d'y concourir. Il faudrait également y rappeler que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme en âge nubile, contractée en vue en vue de fonder librement une famille, tout en ajoutant que la loi peut prévoir, dans le respect des principes constitutionnels, d'autres formes d'union civile pour régler les modalités de la vie commune.
D'autres voudront sans doute aller plus loin encore en constitutionnalisant dans la Charte certaines règles sociales et fiscales comme l'universalisme des allocations ou l'impôt nataliste. L'avantage de la Charte familiale « adossée » au préambule est donc de permettre d'inscrire un ensemble de normes plus complet que dans des retouches portant sur quelques articles.
Mais cette solution maxima a aussi ses défauts et ses dangers. Une constitution ne gagne
pas à la surcharge pondérale et, surtout, le poids et la taille d'un tel texte serait susceptible
d'effaroucher des décideurs politiques déja peu courageux. Plus c'est important et
complexe, plus cela suscite d'opposition et discussions et plus c'est généralement difficile
à faire passer. Politiquement, l'on risque aussi d'encourir l'accusation de retour à la trilogie «Travail, famille, patrie» et les adversaires de mauvaise foi ne manqueraient sûrement pas de rappeler les "heures les plus sombres"...
Sur les aspects sociaux, il ne faut pas non plus oublier que le préambule de 1 946, intégré à celui de la Constitution de 1 958, établit déjà les principes généraux suivants : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » (alinéa 3) ; « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » (alinéa 1 0) ; « Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » (alinéa 11) . « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation
professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous
les degrés est un devoir de l'État » (alinéa 13).
Sur le plan fiscal, c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui pose déjà que : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » (article 1 3) et que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » (article 14).
II ne serait donc pas forcément opportun d'aller plus loin dans la constitutionnalisation de
la politique familiale.
La solution minimale : la révision de quelques articles pertinents
Une solution juridiquement plus économe consisterait donc seulement à rajouter aux articles existants de la Constitution et/ou de son préambule, des alinéas précis et ciblés permettant de prohiber le noyau dur de ce qui est contesté dans la loi du 17 mai 2013 et ses sœurs, existantes ou à venir, c'est-à-dire le « mariage homosexuel », la PMA-GPA et le changement de sexe sur décision discrétionnaire. Sous cet angle, il semble que trois alinéas efficaces pourraient être rajoutés dans deux articles de la Constitution (A) tandis que l'on pourrait songer à mentionner la dignité spécifique de l'espèce humaine dans le préambule (B).
La modification des articles 1 er et 34 de la Constitution
Dans l'article 1er de la Constitution consacré aux grands principes de la République, il conviendrait de rajouter après le premier alinéa qui dispose « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée », un second alinéa indiquant : « La loi protège la famille comme élément naturel et fondamental de la société. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir l'éducation de leur enfant ».
L'on ferait ainsi en réalité un copier-coller de l'article 1 6 alinéa 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée à l'ONU en 1 948. Cette reprise intégrale présente un double avantage : d'une part on utilise une formulation déjà bien connue, rédigée par le vice-président du Conseil d'État français, René Cassin, et l'on reste donc en rédaction française ; d'autre part, ce texte qui été plusieurs fois intégré dans des constitutions nationales jouit d'un prestige considérable et d'une portée universelle, et nul ne pourrait donc accuser son contenu d'être rétrograde et réactionnaire. C'est un texte mythique, une icône philosophique dont on peut toujours s'inspirer.
Dans l'article 34 de la Constitution qui énumère les matières qui sont du domaine de la loi, nous avons actuellement un paragraphe qui dispose que la loi fixe les règles concernant les régimes matrimoniaux. Il suffirait de le remplacer par une formule du type « la loi fixe les règles concernant le régime du mariage, lequel se définit exclusivement comme l'union d'un homme et d'une femme ». Il faut être ici très impératif dans les termes car l'article 32 de la Constitution espagnole indiquant» l'homme et la femme ont le droit de contracter mariage» a été interprété sans scrupules par le Tribunal constitutionnel de Madrid comme permettant à chacun d'épouser une personne de sexe différent ou de même sexe. De la même façon, alors que la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales indique « À partir de l'âge nubile l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille», la Cour n'a pas hésité à considérer que cela n'excluait pas le mariage de deux personnes de même sexe. La moindre ambiguïté de rédaction risque ainsi d'être utilisée par des juridictions peu scrupuleuses statuant sous pression du lobby LGBT. Il ne faut donc laisser aucune place à une interprétation perverse.
Dans ce même article 34, il faudrait encore ajouter que la loi fixe les règles concernant : « la nationalité, l'état et la capacité civils dans le respect de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ainsi que les successions et libéralités ». Ces deux principes jurisprudentiels seraient ainsi expressément constitutionnalisés.
L'inscription de la dignité humaine dans le préambule
Bien entendu, il ne s'agit là que d'un minimum. On peut envisager des formules plus ciblées pour la PMA et la GPA, notamment inspirées de la jurisprudence constitutionnelle. C'est, en effet, en se fondant sur la belle introduction du préambule de la Constitution de 1946, faisant allusion au régime nazi, que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 27 juillet 1994 (n° 94-343/344 DC) concernant la loi relative au respect du corps humain, au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, dite « loi bioéthique », que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».
Le Conseil énumère d'abord les règles dont la loi bioéthique entoure la procréation médicalement assistée, définie comme l'ensemble des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation « en dehors du processus naturel ». Il constate que cette assistance médicale, destinée à répondre à la demande parentale d'un couple, a pour objet soit de remédier à une « infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué», soit d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité. Il constate aussi que la loi impose que « l'homme et la femme formant le couple soient vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans ». Ces conditions étant rappelées, le Conseil conclut que la loi énonce ainsi « un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que
l'intégrité de l'espèce humaine » et il ajoute que « les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».
On pourrait sans doute se dire que cette jurisprudence suffit à s'opposer à l'extension de la PMA aux femmes lesbiennes, célibataires ou ménopausées, mais l'expérience a montré que le Conseil constitutionnel ne tire pas les conséquences des principes éthiques qu'il affiche et botte en touche chaque fois qu'il s'agit de les appliquer. Il a encore récemment trahi, dans sa décision du 31 juillet 2014 sur la loi supprimant toute condition de nécessité à l'avortement, les principes qu'il avait affichés dans une précédente décision du 27 juin 2001. Il vaut donc mieux être prudent et appliquer la formule deTalleyrand selon laquelle « Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant » et se résoudre à écrire noir sur blanc certains « impératifs catégoriques » dans la Constitution.
L'on pourrait ainsi songer à inscrire explicitement le principe de dignité dans la Constitution, en appuyant toutefois sur sa signification de façon à ne pas l'abandonner aux revendications parfaitement subjectives et contradictoires des individus et des groupes. La dignité, en effet, est malheureusement devenue aujourd'hui une auberge espagnole où chacun met ce qu'il veut de telle sorte que cette notion est utilisée à des fins totalement contradictoires pour invoquer une chose et son contraire absolu.
L'on pourrait, par exemple, inscrire dans le préambule, immédiatement avant les références à la Déclaration des droits de l'homme, au préambule de 1946 et à la Charte de l'environnement, la formule suivante : « Convaincu de l'irréductible et spécifique dignité de l'espèce humaine et de la nécessité d'en garantir l'intégrité, le peuple français reconnaît la primauté de la nature et de la personne humaine, le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain. Il proclame l'attachement (...) ».
Reste à déterminer quelle procédure permettrait d'aboutir à une telle consécration constitutionnelle.
Quelle procédure de révision envisager ?
Il n'y a en réalité qu'une procédure envisageable, celle prévue à l'article 89 de la Constitution spécialement consacré à la révision, laquelle comporte cependant une option pour l'adoption finale.
L'exclusion de l'article 11
Il faut exclure d'emblée la faculté que s'était réservée à deux reprises le général de Gaulle de faire réviser la Constitution par un référendum direct de l'article 11 au mépris des dispositions constitutionnelles. Sans doute le Conseil constitutionnel s'est-il déclaré, en 1962 et en 1992, incompétent pour contrôler a posteriori une loi référendaire qui constitue selon ses termes «l'expression directe de la souveraineté nationale». Mais il a cependant raffiné sa jurisprudence depuis en étendant son contrôle préventif sur les décrets d'organisation des référendums.
Le Conseil semble, en effet, s'être engagé dans la voie d'un contrôle de fond portant sur l'appréciation de la conformité à la Constitution du contenu même du projet de loi référendaire. À l'occasion de requêtes demandant l'annulation du décret du 9 mars 2005
soumettant la ratification du projet de traité constitutionnel européen au référendum, il a, en effet, constaté d'une part que ledit traité «n'est pas contraire à la Charte de l'environnement de 2004 » et d'autre part que le projet de loi n'était pas « contraire à la Constitution »\ Les décisions ne sont pas très explicites mais semblent indiquer qu'à l'avenir, le Conseil pourrait éventuellement vérifier, par extension, si, par exemple, le projet de loi soumis au peuple porte bien sur l'organisation des pouvoirs publics, ou sur une réforme portant sur la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation, ou encore s'il ne tend pas à réviser la Constitution au mépris de la procédure de l'article 89.
S'agissant du référendum d'initiative conjointe introduit par la révision constitutionnelle de 2008, la loi organique d'application précise explicitement, alors que cela ne résulte pas clairement du texte de l'article 11, que le Conseil constitutionnel vérifie a priori « qu'aucune disposition de la proposition de loi n'est contraire à la Constitution ». Il est donc désormais inutile de tenter une révision constitutionnelle par ce biais.
La procédure régulière de l'article 89
Elle comporte trois étapes : l'initiative, la phase parlementaire et la phase de ratification.
- L'initiative de la révision appartient concurremment au président de la République, sur
proposition du Premier ministre, et aux membres du parlement. Un député ou un sénateur
isolé peut donc déposer une proposition de révision constitutionnelle.
Deux remarques. En premier lieu, le président de la République ne peut initier une révision que s'il reçoit une proposition du Premier ministre en ce sens. Dans les hypothèses de cohabitation, le président ne peut donc pas prendre l'initiative si le Premier ministre refuse et, inversement, une révision souhaitée par le Premier ministre ne peut aboutir sans l'accord du président. Les révisions de « cohabitation » ne peuvent donc porter que sur des sujets consensuels ou négociés. En second lieu, l'initiative reconnue aux parlementaires a peu de chances d'aboutir si elle n'a pas l'accord du Gouvernement car, malgré l'amélioration de l'initiative parlementaire, les étapes de la procédure restent dominées par l'exécutif.
- Le vote séparé par les chambres.
Le projet ou la proposition ainsi initié doit ensuite être voté séparément par les deux assemblées en termes identiques. Ce qui veut dire qu'aucune révision ne peut être menée à son terme sans l'accord de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il n'y a pas ici de possibilité de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale, le bicamérisme est parfaitement égalitaire.
- L'adoption par le peuple ou le Congrès.
Enfin, quand le texte a été adopté séparément par les deux chambres, il doit en principe être approuvé par le peuple. Toutefois, précise l'article 89, le projet n'est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au parlement réuni en congrès. Dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des 3/semes des suffrages exprimés.
La procédure d'adoption par le Congrès n'est possible que lorsqu'il s'agit d'un projet de révision initié par l'exécutif et non d'une proposition parlementaire. Il est également clair que les constituants ont voulu que le référendum soit le principe et l'adoption congressionnelle l'exception. Celle-ci devrait logiquement être réservée à des révisions d'importance mineure. Cependant, aucune indication n'étant fournie dans le texte constitutionnel, le président de la République (c'est-à-dire, en principe, le Premier ministre puisque le décret est contresigné) peut choisir librement entre le référendum et le Congrès.
Une révision constitutionnelle tendant à inscrire explicitement dans la Constitution des choix éthiques, en harmonie avec la philosophie humaniste qui imprègne déjà le préambule, gagnerait évidemment à être soumise au référendum. D'abord, parce que c'est toute la Nation française qui doit prendre sa responsabilité dans des choix de société qui déterminent l'avenir des générations futures. D'autre part, parce que la crise de confiance que traversent les sociétés occidentales et le discrédit grandissant des décideurs politiques nécessitent de savoir opérer, de temps à autre, sur les grandes questions, un « retour au peuple » et à la légitimité démocratique. Le général de Gaulle savait qu'un choix essentiel doit être inattaquable et que seule la majorité populaire rend la rébellion illégitime. Il est urgent de revenir à ces principes démocratiques élémentaires.
Mais tout ceci demande d'abord une volonté et une conscience politique. Il faut retrouver le sens profond du « bien commun », comme le dit le pape François, ou de l'intérêt général, comme le disent les républicains authentiques.
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les degrés est un devoir de l'État » (alinéa 13).
Sur le plan fiscal, c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui pose déjà que : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » (article 1 3) et que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » (article 14).
II ne serait donc pas forcément opportun d'aller plus loin dans la constitutionnalisation de
la politique familiale.
La solution minimale : la révision de quelques articles pertinents
Une solution juridiquement plus économe consisterait donc seulement à rajouter aux articles existants de la Constitution et/ou de son préambule, des alinéas précis et ciblés permettant de prohiber le noyau dur de ce qui est contesté dans la loi du 17 mai 2013 et ses sœurs, existantes ou à venir, c'est-à-dire le « mariage homosexuel », la PMA-GPA et le changement de sexe sur décision discrétionnaire. Sous cet angle, il semble que trois alinéas efficaces pourraient être rajoutés dans deux articles de la Constitution (A) tandis que l'on pourrait songer à mentionner la dignité spécifique de l'espèce humaine dans le préambule (B).
La modification des articles 1 er et 34 de la Constitution
Dans l'article 1er de la Constitution consacré aux grands principes de la République, il conviendrait de rajouter après le premier alinéa qui dispose « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée », un second alinéa indiquant : « La loi protège la famille comme élément naturel et fondamental de la société. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir l'éducation de leur enfant ».
L'on ferait ainsi en réalité un copier-coller de l'article 1 6 alinéa 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée à l'ONU en 1 948. Cette reprise intégrale présente un double avantage : d'une part on utilise une formulation déjà bien connue, rédigée par le vice-président du Conseil d'État français, René Cassin, et l'on reste donc en rédaction française ; d'autre part, ce texte qui été plusieurs fois intégré dans des constitutions nationales jouit d'un prestige considérable et d'une portée universelle, et nul ne pourrait donc accuser son contenu d'être rétrograde et réactionnaire. C'est un texte mythique, une icône philosophique dont on peut toujours s'inspirer.
Dans l'article 34 de la Constitution qui énumère les matières qui sont du domaine de la loi, nous avons actuellement un paragraphe qui dispose que la loi fixe les règles concernant les régimes matrimoniaux. Il suffirait de le remplacer par une formule du type « la loi fixe les règles concernant le régime du mariage, lequel se définit exclusivement comme l'union d'un homme et d'une femme ». Il faut être ici très impératif dans les termes car l'article 32 de la Constitution espagnole indiquant» l'homme et la femme ont le droit de contracter mariage» a été interprété sans scrupules par le Tribunal constitutionnel de Madrid comme permettant à chacun d'épouser une personne de sexe différent ou de même sexe. De la même façon, alors que la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales indique « À partir de l'âge nubile l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille», la Cour n'a pas hésité à considérer que cela n'excluait pas le mariage de deux personnes de même sexe. La moindre ambiguïté de rédaction risque ainsi d'être utilisée par des juridictions peu scrupuleuses statuant sous pression du lobby LGBT. Il ne faut donc laisser aucune place à une interprétation perverse.
Dans ce même article 34, il faudrait encore ajouter que la loi fixe les règles concernant : « la nationalité, l'état et la capacité civils dans le respect de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ainsi que les successions et libéralités ». Ces deux principes jurisprudentiels seraient ainsi expressément constitutionnalisés.
L'inscription de la dignité humaine dans le préambule
Bien entendu, il ne s'agit là que d'un minimum. On peut envisager des formules plus ciblées pour la PMA et la GPA, notamment inspirées de la jurisprudence constitutionnelle. C'est, en effet, en se fondant sur la belle introduction du préambule de la Constitution de 1946, faisant allusion au régime nazi, que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 27 juillet 1994 (n° 94-343/344 DC) concernant la loi relative au respect du corps humain, au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, dite « loi bioéthique », que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».
Le Conseil énumère d'abord les règles dont la loi bioéthique entoure la procréation médicalement assistée, définie comme l'ensemble des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation « en dehors du processus naturel ». Il constate que cette assistance médicale, destinée à répondre à la demande parentale d'un couple, a pour objet soit de remédier à une « infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué», soit d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité. Il constate aussi que la loi impose que « l'homme et la femme formant le couple soient vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans ». Ces conditions étant rappelées, le Conseil conclut que la loi énonce ainsi « un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que
l'intégrité de l'espèce humaine » et il ajoute que « les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».
On pourrait sans doute se dire que cette jurisprudence suffit à s'opposer à l'extension de la PMA aux femmes lesbiennes, célibataires ou ménopausées, mais l'expérience a montré que le Conseil constitutionnel ne tire pas les conséquences des principes éthiques qu'il affiche et botte en touche chaque fois qu'il s'agit de les appliquer. Il a encore récemment trahi, dans sa décision du 31 juillet 2014 sur la loi supprimant toute condition de nécessité à l'avortement, les principes qu'il avait affichés dans une précédente décision du 27 juin 2001. Il vaut donc mieux être prudent et appliquer la formule deTalleyrand selon laquelle « Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant » et se résoudre à écrire noir sur blanc certains « impératifs catégoriques » dans la Constitution.
L'on pourrait ainsi songer à inscrire explicitement le principe de dignité dans la Constitution, en appuyant toutefois sur sa signification de façon à ne pas l'abandonner aux revendications parfaitement subjectives et contradictoires des individus et des groupes. La dignité, en effet, est malheureusement devenue aujourd'hui une auberge espagnole où chacun met ce qu'il veut de telle sorte que cette notion est utilisée à des fins totalement contradictoires pour invoquer une chose et son contraire absolu.
L'on pourrait, par exemple, inscrire dans le préambule, immédiatement avant les références à la Déclaration des droits de l'homme, au préambule de 1946 et à la Charte de l'environnement, la formule suivante : « Convaincu de l'irréductible et spécifique dignité de l'espèce humaine et de la nécessité d'en garantir l'intégrité, le peuple français reconnaît la primauté de la nature et de la personne humaine, le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain. Il proclame l'attachement (...) ».
Reste à déterminer quelle procédure permettrait d'aboutir à une telle consécration constitutionnelle.
Quelle procédure de révision envisager ?
Il n'y a en réalité qu'une procédure envisageable, celle prévue à l'article 89 de la Constitution spécialement consacré à la révision, laquelle comporte cependant une option pour l'adoption finale.
L'exclusion de l'article 11
Il faut exclure d'emblée la faculté que s'était réservée à deux reprises le général de Gaulle de faire réviser la Constitution par un référendum direct de l'article 11 au mépris des dispositions constitutionnelles. Sans doute le Conseil constitutionnel s'est-il déclaré, en 1962 et en 1992, incompétent pour contrôler a posteriori une loi référendaire qui constitue selon ses termes «l'expression directe de la souveraineté nationale». Mais il a cependant raffiné sa jurisprudence depuis en étendant son contrôle préventif sur les décrets d'organisation des référendums.
Le Conseil semble, en effet, s'être engagé dans la voie d'un contrôle de fond portant sur l'appréciation de la conformité à la Constitution du contenu même du projet de loi référendaire. À l'occasion de requêtes demandant l'annulation du décret du 9 mars 2005
soumettant la ratification du projet de traité constitutionnel européen au référendum, il a, en effet, constaté d'une part que ledit traité «n'est pas contraire à la Charte de l'environnement de 2004 » et d'autre part que le projet de loi n'était pas « contraire à la Constitution »\ Les décisions ne sont pas très explicites mais semblent indiquer qu'à l'avenir, le Conseil pourrait éventuellement vérifier, par extension, si, par exemple, le projet de loi soumis au peuple porte bien sur l'organisation des pouvoirs publics, ou sur une réforme portant sur la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation, ou encore s'il ne tend pas à réviser la Constitution au mépris de la procédure de l'article 89.
S'agissant du référendum d'initiative conjointe introduit par la révision constitutionnelle de 2008, la loi organique d'application précise explicitement, alors que cela ne résulte pas clairement du texte de l'article 11, que le Conseil constitutionnel vérifie a priori « qu'aucune disposition de la proposition de loi n'est contraire à la Constitution ». Il est donc désormais inutile de tenter une révision constitutionnelle par ce biais.
La procédure régulière de l'article 89
Elle comporte trois étapes : l'initiative, la phase parlementaire et la phase de ratification.
- L'initiative de la révision appartient concurremment au président de la République, sur
proposition du Premier ministre, et aux membres du parlement. Un député ou un sénateur
isolé peut donc déposer une proposition de révision constitutionnelle.
Deux remarques. En premier lieu, le président de la République ne peut initier une révision que s'il reçoit une proposition du Premier ministre en ce sens. Dans les hypothèses de cohabitation, le président ne peut donc pas prendre l'initiative si le Premier ministre refuse et, inversement, une révision souhaitée par le Premier ministre ne peut aboutir sans l'accord du président. Les révisions de « cohabitation » ne peuvent donc porter que sur des sujets consensuels ou négociés. En second lieu, l'initiative reconnue aux parlementaires a peu de chances d'aboutir si elle n'a pas l'accord du Gouvernement car, malgré l'amélioration de l'initiative parlementaire, les étapes de la procédure restent dominées par l'exécutif.
- Le vote séparé par les chambres.
Le projet ou la proposition ainsi initié doit ensuite être voté séparément par les deux assemblées en termes identiques. Ce qui veut dire qu'aucune révision ne peut être menée à son terme sans l'accord de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il n'y a pas ici de possibilité de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale, le bicamérisme est parfaitement égalitaire.
- L'adoption par le peuple ou le Congrès.
Enfin, quand le texte a été adopté séparément par les deux chambres, il doit en principe être approuvé par le peuple. Toutefois, précise l'article 89, le projet n'est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au parlement réuni en congrès. Dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des 3/semes des suffrages exprimés.
La procédure d'adoption par le Congrès n'est possible que lorsqu'il s'agit d'un projet de révision initié par l'exécutif et non d'une proposition parlementaire. Il est également clair que les constituants ont voulu que le référendum soit le principe et l'adoption congressionnelle l'exception. Celle-ci devrait logiquement être réservée à des révisions d'importance mineure. Cependant, aucune indication n'étant fournie dans le texte constitutionnel, le président de la République (c'est-à-dire, en principe, le Premier ministre puisque le décret est contresigné) peut choisir librement entre le référendum et le Congrès.
Une révision constitutionnelle tendant à inscrire explicitement dans la Constitution des choix éthiques, en harmonie avec la philosophie humaniste qui imprègne déjà le préambule, gagnerait évidemment à être soumise au référendum. D'abord, parce que c'est toute la Nation française qui doit prendre sa responsabilité dans des choix de société qui déterminent l'avenir des générations futures. D'autre part, parce que la crise de confiance que traversent les sociétés occidentales et le discrédit grandissant des décideurs politiques nécessitent de savoir opérer, de temps à autre, sur les grandes questions, un « retour au peuple » et à la légitimité démocratique. Le général de Gaulle savait qu'un choix essentiel doit être inattaquable et que seule la majorité populaire rend la rébellion illégitime. Il est urgent de revenir à ces principes démocratiques élémentaires.
Mais tout ceci demande d'abord une volonté et une conscience politique. Il faut retrouver le sens profond du « bien commun », comme le dit le pape François, ou de l'intérêt général, comme le disent les républicains authentiques.
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