mercredi 9 juillet 2014

"Tatouage,Tattoos, piercing : pourquoi ?" (Patrice de Plunkett)




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Attesté partout dans les anciennes sociétés claniques, par exemple en Polynésie [1], le tatouage correspondait à des traditions : il symbolisait des rôles sociaux, des mérites personnels, des armes, des sacrifices humains, des animaux divinisés. Il était opéré par des prêtres, au cours de cérémonies. Imité en Occident par des matelots puis des truands aux XIXe-XXe siècles, le tatouage eut aussi ses codes visuels de « milieu ».

Mais rien de tout cela dans le tatouage en France aujourd'hui. Son iconographie en 2009 se limite au morbide de bazar (esthétique vidéo-gothique), au zéro-sens (papillons, petites étoiles) ou à l'érotomanie. Le comble : les tatouages« tribaux », proposés par les catalogues à des petits-bourgeois français n'appartenant à aucune tribu.

En l'absence de tradition, et vu la laideur du tatouage sur une femme, comment expliquer sa multiplication ? « Le tatouage chez la femme au XXIe siècle symbolise la liberté d'expression », dit un journal québécois [2] ; autant dire qu'il ne symbolise rien, une liberté n'étant pas un contenu. En fait, la ménagère imite les sempiternels people, tatouées mais surtout Américaines (on ne dit plus tatouage mais tattoo).« Manière de s'affirmer », disent les sites commerciaux. L'un d'eux [3] ajoute : « Aujourd'hui tout le monde se fait tatouer, c'est un signe de distinction. »

Se « distinguer » en ressemblant à « tout le monde », c'est-à-dire aux modèles obligatoires ? C'est un réflexe paradoxal. Mais c'est la clé de fonctionnement de la société de consommation.

Piercing « industriel »

Encore plus significatif : le piercing. Le terme anglais est body piercing, « perçage du corps ». Première observation : comme dans le cas du tatouage, le piercing en Occident aujourd'hui n'a pas le sens qu'il avait dans les sociétés anciennes : le labret qui remontait au néolithique, les perforations du nez chez les pharaons, les oreilles percées des esclaves dans la Bible (Exode 21,5), les langues perforées des Mayas et des Aztèques, le bijou dans le nez des castes supérieures indiennes, etc. Voire l'anneau dans l'oreille des matelots de la marine en bois, ou de certains artisans d'autrefois... Rien à voir avec ce qui se passe maintenant en Occident : apparu en 1975 aux USA dans la « culture gay » version sadomasochiste, expliquent les sociologues, le piercing est aujourd'hui répandu partout.

Que veut le percé ? « Se distinguer », affirme la pub. Mais on peut lui faire la même objection qu'au tatouage : on ne se distingue pas en imitant.

Quant aux sociologues, ils pensent que le piercing pourrait être devenu chez les adolescents un « rite de passage à l'âge adulte » : il faudrait donc considérer comme « adulte » (inséré dans la société) ce que véhicule le piercing.

Alors, que véhicule-t-il ?

Un certain type de piercing se compose de deux perçages à l'oreille reliés par une tige de 30 millimètres. Dans le vocabulaire consacré, ce piercing est appelé « l'industriel ». D'ailleurs le matériau de tout piercing évoque l'industrie : acier inoxydable, titane, niobium, teflon, bioplast, plexiglas, acrylique.

Incorporer des matériaux industriels à l'épiderme, c'est forcer son propre corps à « ressembler » à un artefact. Pourquoi ?-

L'homme trahit sa propre cause

Dans son livre L'obsolescence de l'homme [4], Günther Anders, qui fut l'époux de Hannah Arendt, affirme que l'homme moderne fait un complexe d'infériorité devant la perfection des objets techniques. Il a « honte […] de devoir sa propre existence au hasard, à ce processus aveugle, non calculé et ancestral, de la procréation et de la naissance, plutôt qu'à la maîtrise. Ce déshonneur tiendrait déjà au fait qu'il s'agit d'une naissance et non d'une production planifiée et rationnelle... »,d'où aujourd'hui les fantasmes de l'utérus machinique, des humains génétiquement modifiés, et la pratique « bien réelle et déjà programmée du tri des embryons », explique Paul Ariès [5]: « Ce que l'homme moderne considère comme un déshonneur, ce n'est plus d'être "chosifié", mais de ne pas l'être.... L'homme moderne non seulement accepte sa propre réification (métro-boulot-MacDo-dodo), mais finit par passer dans le camp des instruments, bref, par trahir sa cause : il accepte la supériorité de la technoscience et des objets, il accepte d'être mis au pas... L'homme va déserter son camp en adoptant le point de vue et les critères des objets... Cette honte prométhéenne serait donc ce qui pousse tant d'humains à pratiquer des sports extrêmes, ou à se livrer à des conditions extrêmes de survie, ou à pratiquer des jeux dangereux, ou encore à ces nouvelles formes d'alcoolisation des jeunes qui seraient autant de formes d'ordalie. »

Voilà comment nous en sommes au fantasme des cyborgs, de l'homme pharmaceutique, et du corps mis en scène comme un artefact : piercings et tattoos qu'il ne faut pas dramatiser pour eux-mêmes, mais qui sont le signe de quelque chose de grave.Il s'agit de « donner au corps la beauté des choses fabriquées ». Il ne s'agit plus d'esthétiser la vie humaine,comme dans les sociétés primitives, mais de la déshumaniserpar complexe d'infériorité devant la Machine. C'est le stade léthal de la société technoïde. Pour changer de société, il faut une révolution. Toute autre voie serait une esquive.

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[1] « Tatouer » vient du polynésien tatau : «faire des marques ». (« Prêtre tatoueur » : tahu'a tatau).

[2] La journaliste québécoise ajoute : « La femme tatouée n'a plus de visage ni de classe sociale. Elle est libre et affranchie. D'ailleurs il n'est pas rare de voir des femmes récemment divorcées se présenter à sa boutique et réclamer leur petit côté «wild». Elles perçoivent le tatouage comme une transition, un passage à une autre étape de leur vie. « ll ne faut jamais sous-estimer l'effet thérapeutique de la coquetterie», commente Jean Gauthier, représentant du service à la clientèle du salon Excentrik à Montréal. Il note que les dessins sont rarement engagés, variant entre la fleur et le papillon.»

[3] Dans un magazine féminin.

[4] L'obsolescence de l'homme : sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle, éd. Encyclopédie des nuisances – Ivrea, 2002.

[5]Les cahiers de l'IEESD,numéro 3, juillet 2009. Plus radicale est la critique (la vraie) de la société capitaliste, plus elle recoupe l'anthropologie catholique (la vraie). [ Ajout 2013 – Ces dernières lignes, écrites en 2009, sont d'autant plus objectives qu'Ariès se pose en véhément bouffeur de cathos ! ].





Autre: "Tatouages, théorie du genre et images du Christ" (Famille Chrétienne)









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- "Tatouage,Tattoos, piercing : pourquoi ?" (Patrice de Plunkett)
"1984" de George Orwell  avec  Raphaël Enthoven dans"Le Gai Savoir
-  Halte au narcissisme du corps   avec  Adèle van Reeth
- "La révolte des masses" - d' Ortega Y Gasset
Les nouvelles technologies vont-elles réinventer l' homme ?

voir aussi:


Chiara Petrillo: "OUI à la VIE"

L' état doit il avoir une éthique ? La loi est elle pédagogique et donc
                    oriente elle vers le bien ?
Démocratie "entre" Loi civil et loi morale 
                    Extrait de l' Evangile de la Vie (Evangelium vitae)
- Loi naturelle et loi civile: 1-"un mariage de raison"
La voix éloquente et claire de la Conscience
- Chronique libre: "De l'ordre moral à l'ordre infernal"


- "Laïcité de l'Etat, laïcité de la société ?" - Conférence du Cardinal Ricard  
- Conscience morale: "Les chrétiens au risque de l'abstention ? "  

- Cardinal André XXIII - Extrait " Vision actuelle sur la Laïcité (KTO) "

( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie I)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie II)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie III)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie IV)

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