Quarante ans après l’appel des “343”(+) pour l’avortement, les féministes nouvelle version ont pour slogan “L’égalité maintenant !” – titre d’un manifeste publié dans Libération le 2 avril. On l’aura compris, le discours décrit les inégalités “qui restent”. Comme si nous devions avancer inéluctablement vers une société où les idées des Lumières seraient réalisées à la lettre, et tout de suite.
Outre le ton revanchard et puéril de ces textes dont les descriptions pour autant ne sont pas fausses, on bute sur deux questions qui délégitiment ces revendications, au moins à l’éclairage de l’histoire récente.
La première concerne le paramètre du temps. À les entendre, on dirait que le temps ne compte pas. Expliquons-nous. Une transformation majeure a eu lieu au cours des dernières décennies dans les relations entre les hommes et les femmes. On peut dire que nous ne sommes plus dans la relation ancienne, et en outre instinctive, naturelle, celle qui durait depuis Cro-Magnon, la relation maître-serviteur. Naturellement, cela dépend des milieux, et toutes les nuances existent. Bien des signes demeurent de la sou mission féminine et de la prééminence masculine. Mais l’important (parce que tant de choses en découlent) est de préciser que ces transformations radicales ont été et sont encore très difficiles à accepter pour les hommes ; il est toujours ardu, il apparaît toujours injuste de perdre une domination – les historiens admettent qu’après la disparition du servage ou de l’esclavage dans un lieu donné, le malaise, le ressentiment, l’amertume des anciens maîtres réclament environ deux siècles pour s’effacer. L’addition du malaise des hommes et des revendications encore multipliées des femmes engendre toutes sortes de ruptures, conscientes ou non, mais terribles pour la société, essentiellement les ruptures conjugales et l’éclatement des familles.
Je maintiens que la stabilité familiale et sociale est plus importante à ce stade que l’impatience des féministes. On ne peut imposer aux hommes une métamorphose à marche forcée, effaçant d’un coup l’empreinte d’une culture millénaire. Les choses ont déjà été si vite que nombre d’entre eux ont le sentiment d’être devenus des serviteurs – celui qui a l’habitude d’une domination exclusive et arbitraire pendant des siècles ressent comme une humiliation le moindre partage d’autorité. Et que nombre d’entre eux ne respectent l’autonomie, la parole, la compétence des femmes que parce qu’ils y sont obligés par le conformisme ambiant, et le font entièrement à contre-coeur. Ce qui est bien dommageable, car ce que l’on fait contraint et sans y croire, on le fait à pas de crabe, l’amertume au cœur et en attendant on ne sait quelle revanche. Une métamorphose pareille réclame du temps, et ici, l’impatience est mortifère.
Mais il y a plus. Que veut dire l’égalité ? Elle signifie égalité en dignité, c’est-à-dire en respect porté non seulement à l’être même, mais à ses capacités et à ses mérites. Elle signifie qu’on ne réduit plus les femmes à se sacrifier seules à la communauté familiale, au détriment de leur propre développement. Et cela non pas parce que les Lumières nous le disent mais parce que notre culture, d’origine chrétienne, décrit l’humain, homme ou femme, comme une personne, soit comme un tout destiné à déployer ses propres talents. Mais l’égalité ne signifie pas qu’il faudrait instaurer, par souci de justice mal comprise, une égalité arithmétique. L’égalité arithmétique ne vaut que pour les semblables. Les hommes et les femmes ne sont pas semblables et, ne serait ce que pour des raisons biologiques incontestables, ne jouent pas le même rôle dans l’existence commune.
Aussi, quand on commence à appeler discrimination toute différence, c’est qu’on est en train de perdre la tête. Pour prendre un seul exemple, l’obligation, imposée peu à peu à travers l’Europe, d’un congé paternité égal au congé maternité fait partie de ces inepties à la mode dont on ne sait s’il faut rire ou pleurer. On voit la Halde organiser une chasse hargneuse et pleine d’acrimonie contre des manuels scolaires où l’on peut lire encore « papa lit et maman coud », type de phrase signant l’abomination de la désolation. Parler de stricte égalité de traitement n’a aucun sens (sinon un sens idéologique) lorsque les personnes sont dissemblables. La biologie suscite des rôles, et ce n’est pas parce qu’on a dans le passé figé les rôles absurdement qu’il faut à présent les effacer. Une femme qui sort d’un accouchement a besoin de davantage de repos qu’un homme qui a regardé sa femme accoucher. On regrette de devoir gaspiller de l’encre pour écrire des choses aussi triviales. De même, il sera généralement plus efficace que l’homme déménage l’armoire et que la femme recouse l’ourlet – même s’il peut y avoir des exceptions. Et l’on se demande si bientôt chacun des sexes ne devra pas revendiquer les organes qu’il n’a pas, comme un simple droit-créance. Ces combats sont si ridicules qu’ils détruisent le reste de l’argument. Il n’y a rien de pire que l’excessif qui, au-delà d’un certain seuil, brise toute la perspicacité qu’il dissimule. Chantal Delsol, de l'Institut
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